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mardi 2 mars 2021
Pour citer ce texte : Renier, S. (2021). Ouverture. L’éducation (re)saisie par les sciences : l’applicationnisme et ses enjeux. Annuel de la Recherche en Philosophie de l’Education , 1 , 9-17.
[https://www.sofphied.org/annuel-de-la-recherche-en-philosophie-de-l-education/arphe-2020/dossier/article/l-education-re-saisie-par-les-sciences-l-applicationnisme-et-ses-enjeux]
L’éducation (re)saisie par les sciences : l’applicationnisme et ses enjeux
Ouverture du dossier
Samuel Renier
Maître de conférences en Sciences de l’éducation
Université de Tours – EA 7505 EES
L’amplification médiatique que connaît actuellement une certaine construction discursive se réclamant du « vrai » scientifique pour fonder les politiques scolaires, avec toutes les controverses que cela suscite, ne saurait masquer la force et l’ancienneté du projet d’une éducation entièrement et nécessairement basée sur un certain usage des sciences, d’une éducation conçue comme application de ce que les sciences permettraient de comprendre et de programmer dans les processus d’apprentissage. Souvent la Science ou les sciences apparaissent comme des disciplines neutres, devant être appliquées sans débat.
Ces perspectives, loin d’être une nouvelle donne permise par le développement des neurosciences, ont l’âge des sciences elles-mêmes, si ce n’est celui de la philosophie. Le syntagme « sciences de l’apprendre », apparu récemment, est l’habit le plus récent d’une vieille ambition qui n’a cessé d’obséder l’histoire de la pédagogie.
C’est ainsi que, bien avant le « buzz » actuel des neurosciences, le saint-simonisme puis les socialismes utopiques du XIXe siècle (par exemple le fouriérisme ou l’icarisme) n’avaient eu de cesse de chercher à rationaliser l’éducation en concevant celle-ci comme l’application expérimentale de théories sociales et d’hypothèses anthropologiques. Ces éléments nous engagent à la fois à penser les enjeux politiques à l’œuvre (injonctions d’efficacité de l’école par exemple) et les effets de pouvoir. En choisissant ce terme de « saisie » dans l’intitulé de ce colloque, il s’agit aussi bien d’interroger la compréhension que la captation, l’accaparement, ou l’instrumentalisation des sciences.
1. Saisir : une question socialement vive et philosophiquement importante.
Comprendre ce projet inhérent à la modernité scientifique, en analyser les enjeux et les évolutions, dans leurs dimensions philosophiques, politiques, historiques et culturelles, est et demeure une tâche de la plus grande importance. L’actualité nous le rappelle en affichant à la une son nouvel avatar, porté par la vague d'un usage mécaniste et faussement naïf des neurosciences. Sans doute en raison des représentations individuelles et sociales dont celles-ci sont l’objet, les controverses qui occupent le devant de la scène oscillent souvent entre une foi plus ou moins naïve accordée aux pouvoirs des sciences et des techniques, d’un côté, et une crainte diffuse ou explicite de l’ὕϐρις (húbris) prométhéenne, de l’autre. Il importe d’autant plus de ne pas laisser la réflexion s’enfermer dans ces controverses, de ne pas tenir les neurosciences comme les seules figures contemporaines d’une éducation voulue « scientifique ». Les politiques éducatives font aussi, par exemple, un usage et une application « scientifiques » des données issues des sciences sociales, qui doivent également être pris en compte.
De surcroît, cette conception applicationniste et ingénieriale de l’usage social des sciences ne s’en tient pas à la seule éducation instituée mais s’élargit notamment à tout le champ de la formation humaine et du soin, pour s’en tenir à un registre commun. S’y croisent notamment le nouvel imaginaire des techniques (culminant dans l’imaginaire de « l’homme augmenté »), l’imaginaire pédagogique scientiste, et l’imaginaire positiviste d’organisation sociale qui perdure sous ses avatars technocratiques… Ces mouvements des sciences vers l’éducation et de l’éducation vers les sciences ne croisent-ils pas d’ailleurs l’ambition, chez les pédagogues eux-mêmes, de proposer une pédagogie scientifique ou du moins instruite des sciences ?
Répertorier ces figures et les analyser, en discuter les fonctions et les enjeux, constitue l’un des principaux objectifs de ce dossier. S’attacher à clarifier les problématiques communes dont elles dépendent, mettre à jour autant que faire se peut leur sol commun, leur épistèmê – perspective sans doute plus ambitieuse – est un second objectif indissociable du précédent. Il serait également possible d’entrer dans le sujet en sens contraire et d’interroger le projet pédagogique lui-même : en quoi et pourquoi en appelle-t-il aux sciences ? Cet appel est-il légitime et dans quelle mesure ?
2. Interroger : un terme aux multiples ressorts, et aux racines complexes.
Pour y parvenir, il faut sans doute commencer par situer la diversité des enjeux sur les différents plans où ils se situent, sans ignorer les croisements de ces champs.
1. Le lien qui noue la tâche éducative au projet de connaissance de la « vérité » naît avec la philosophie elle-même, dans son origine platonicienne. Quels en sont les enjeux philosophiques ? Dans quelle mesure ce lien traverse-t-il l’histoire de la philosophie de l’éducation ?
2. Les figures de l’applicationnisme se déclinent dans différents champs. Comment se construisent-elles et fonctionnent-elles dans le champ médical, dans le champ psychopédagogique, dans le champ sociologique ? Comment se déploient-elles dans l’histoire de la pédagogie ? Comment penser l’institutionnalisation des sciences de l’éducation et la place de la philosophie dans ce contexte ?
3. La pédagogie est tantôt définie comme une théorie-pratique qui cherche son autonomie par rapport aux sciences, particulièrement les sciences de l’éducation, tantôt comme une technologie voire une science appliquée, une pédagogie scientifique dont la psychologie, les neurosciences, la sociologie, la médecine ou la biologie sont censées délivrer les fondements. Quels types de sciences ont voix au chapitre en matière d’éducation ? La place croissante de certaines sciences se fait-elle au détriment d’autres ? Qu’en est-il historiquement ? En quoi l’éducation a-t-elle plus d’affinités avec certaines sciences particulières que d’autres ?
4. Qu’en est-il de la place des sciences dans les utopies pédagogiques et les réalisations éducatives, aussi bien celles du XIX° (Le Fouriérisme, le Saint-simonisme, l’Icarisme…), que leurs expressions contemporaines ? Se pose dès lors la question d’une instance critique interrogeant les finalités sociales et politiques de l’acte éducatif.
5. En traduisant le terme de « sciences » par l’un de ses équivalents grecs, θεωρία (theoria), on peut également interroger le rapport qui s’établit entre des discours savants et des discours d’ordre pratique. Comment penser les relations entre ces sphères ? N’y a-t-il de vérité des phénomènes éducatifs que dans un discours scientifique à prétention théorique, ou généralisante ? Ce qui pose la question du statut de la praxis pédagogique.
3. Analyser : des enjeux pédagogiques aux questions épistémologiques.
L’un des enjeux ouverts par ces perspectives est donc celui du statut, de la place et du périmètre à accorder à la pédagogie, en tant qu’approche des phénomènes éducatifs mais aussi en tant que démarche à même de les orienter, littéralement de les conduire.
La première partie de ce dossier s’ouvre ainsi, et de manière radicale, par le texte d’Emmanuel Brassat, situant la pédagogie « entre discipline et application », afin de comprendre les dangers en même temps que les limites que représenterait une forme d’applicationnisme, vis-à-vis de l’idée même de pédagogie. Appliquer sans réfléchir, répliquer sans explications, tels seraient les attributs de cette notion, dont l’exacerbation ne peut manquer de produire des formes nouvelles d’aliénation, au sens où la décrit Marx. Pourtant, l’idée d’application ne doit pas être rejetée en bloc, dans la mesure où l’application désigne aussi le soin, l’engagement dans l’effort continu, le caractère pratique et in fine, l’opérationnalité du sens que peuvent revêtir les actes d’apprentissage. Le travail pédagogique se situerait ainsi sur cette ligne de crête, entre soucis d’un mouvement de formation, d’un pli à prendre, et dérive possible, exacerbation ou absolutisation du transfert qui ne puisse opérer aucun retour possible, aucune réciprocité, aucune réflexivité.
Poursuivant ce mouvement, le texte de Roger Monjo se propose d’élaborer une typologie des discours qui prennent l’école pour objet : discours de la science, discours philosophique, discours de l’institution, et discours ordinaire. Or, c’est précisément le statut accordé à ce dernier type de discours, discours de l’école plus que discours sur l’école, discours des acteurs, qui est ici en jeu. En quoi la place accordée à celui-ci a-t-elle évolué ? Quelles formes de rationalité sous-tendent l’évolution des autres discours, tendant à s’autonomiser, à se renforcer et à s’appliquer au discours issu du terrain, des pratiques éducatives ? En s’appuyant sur l’étude du discours de la modernité produite par Jürgen Habermas, et son analyse de la « colonisation » du monde vécu par le discours normatif, ce texte entend pourtant restituer au discours des acteurs son statut fondateur, et rappeler que le discours scientifique reste avant tout un régime discursif.
S’attacher au discours nous permet également de mieux comprendre les enjeux professionnels que rencontrent les acteurs aux prises avec ces questions. A travers l’étude de La revue de la vie scolaire : le conseiller d’éducation, le texte de Céline Chauvigné nous permet ainsi d’analyser comment se constitue un discours à partir et autour des sciences sociales, au sein d’une communauté professionnelle. Quelle est la raison d’un appel aux sciences ? En quoi peuvent-elles être un appui, plus qu’un modèle ? Quels rapports aux savoirs entretiennent alors ces professionnels ? L’usage qui est fait des référents théoriques par ces acteurs, et auteurs de la revue, loin de se prêter à une forme d’application naïve indique ainsi tout l’écart, le jeu possible, dans l’appropriation et la construction des discours à des fins de légitimation, et plus encore d’élaboration d’une critique possible de la forme scolaire. Ce sont bien les sciences, ici sociales, qui sont ici ressaisies par l’éducation, à travers ceux qui la font vivre, plus que l’inverse.
Cette question de l’actorialité possible induite par la présence de dispositifs en évolution se retrouve enfin, et sous un jour particulièrement actuel, dans le texte de Melpomeni Papadopoulou, qui interroge le déploiement et l’utilisation des nouvelles technologies afin de proposer un enseignement hybride, voire distanciel. La question que nous pose ce texte est alors celle des implications pédagogiques induites par l’application d’outils numériques, dont la configuration même serait porteuse. Quelle place laissent-ils précisément à l’implication des acteurs ? En quoi permettent-ils de prendre en compte l’expérience qui est la leur ? Ici encore, la parole laissée aux acteurs dans la construction de cette réflexion permet de faire ressortir une dialectique au sein de laquelle le danger applicationniste n’est jamais très loin, à travers les dérives d’une généralisation à marche forcée de dispositifs techniques dont les utilisateurs ne sont que très rarement les concepteurs, mais qui ouvre néanmoins la porte à une forme de reconnaissance de nouvelles actorialités, en vue de retrouver un pouvoir instituant dont le besoin apparaît ici urgent.
4. Mettre en perspective : antécédents historiques et alternatives philosophiques.
Telle est la préoccupation partagée par les quatre textes qui composent la deuxième partie de ce dossier. S’appuyant sur la lecture de figures historiques, ils s’appliquent à identifier en quoi les questions qui nous interpellent aujourd’hui trouvent un écho dans les débats et les réflexions du passé.
Ainsi en est-il de la question inaugurale que nous adresse le texte de Jean-François Goubet : « une philosophie de la formation peut-elle être applicationniste ? » A travers cette question, le texte nous invite notamment à envisager la question de la formation dans sa dimension de professionnalisation, celle qui consiste à former de futurs professionnels de l’éducation. S’appuyant sur la philosophie de Herbart, il nous invite à considérer l’émergence d’une conception de la pédagogie qui ne serait pas simplement dérivée d’autres sciences, qu’elle se contenterait d’appliquer de manière particulière aux situations éducatives, mais constituerait bel et bien une discipline à part entière, productrice de ses propres savoirs et concepts « indigènes ». L’enjeu est d’importance car, bien au-delà de l’épistémologie, il touche à la nature même du schisme qui en vient parfois à séparer théories et pratiques. Une conception trop applicationniste aboutirait, en ce sens, à un repli sur le « cercle d’expérience » des éducateurs auquel ils opposeraient une telle conception. De ce moment fondateur, il est notamment possible de dégager plusieurs suites, fécondes, dans les travaux de Durkheim et de Dewey, faisant ainsi fructifier le « legs » herbartien.
Poursuivant dans l’héritage intellectuel du 19ème siècle, le texte de Jean-François Dupeyron déplace le débat de la sphère épistémologique vers la sphère sociale et politique. La question qu’il nous adresse est celle des processus et des usages démocratiques entourant les perspectives dessinées par la science. A qui se destine-t-elle ? Qui va pouvoir en faire usage ? Comment ces usages s’inscrivent-ils dans un projet politique, et de quelle manière sont-ils délibérés ? Développant l’exemple de la « pédagogie démopédique » conçue par Jules Andrieu, et reprise brièvement durant la Commune de Paris, il s’agit de souligner la nécessité de penser le rapport entre science et éducation à travers le prisme de sa finalité : l’émancipation sociale et individuelle. Située, certes, en un temps et des conditions circonscrites, une telle expérience n’est pas sans porter de messages pour la compréhension des phénomènes contemporains, plaidant pour une philosophie politique de l’éducation.
Joseph Jacotot, sur lequel s’appuie le texte de Marc Deryke, fut d’ailleurs l’un des inspirateurs de ce mouvement. Pédagogue radical, dont l’œuvre nous est revenue depuis une trentaine d’années, grâce aux travaux de Jacques Rancière et à la publication de son Maître ignorant, Jacotot ne s’attacha pas particulièrement à la question de la relation entre les discours scientifiques et l’éducation. Toutefois, la perspective qu’il ouvre avec sa méthode et qui vise à ne « s’autoriser que de soi-même », constituerait l’une des sources permettant de « tarir » l’applicationnisme. Faisant le pari de l’égalité des intelligences, il nous invite à repenser le rapport du maître à son savoir, afin de permettre à ceux auprès de qui il est institué pour intervenir de fonder le leur. Expérience de production de savoirs, mais aussi de soi.
Le pas de côté que nous propose à son tour le texte de Pierre Gégout ne nous renvoie pas simplement à une époque ou un contexte qui seraient éloignés de nous et, en cela précisément, nous permettraient d’opérer un décentrement fondateur d’un double mouvement de questionnement et de propositions alternatives. L’auteur sur lequel il s’appuie, Louis Arnaud Reid nous semble en cela à la fois proche, et même temps relativement étranger, parce que méconnu ou, plutôt, ouvrant un véritable « continent » philosophique dont l’exploration reste encore balbutiante. Au-delà de l’intérêt pour ce qu’une philosophie analytique de l’éducation aurait à nous offrir, l’analyse que développe ce texte sur la relation entre théorie et pratique en éducation permet de resituer la question de l’application à sa juste place, loin des visions naïves et par trop simplistes. D’une part, appliquer n’est pas chose facile et, d’autre part, toute pratique comporte une part irréductible d’inventivité et de création la rendant irréductible à la simple application d’une théorie. Une véritable formation philosophique peut alors s’en dégager, et insister sur la place originale et unique qu’occupe la philosophie afin de former humainement la personne, et renforcer cette part d’invention ; complément nécessaire de toute formation et de tout discours scientifique.
5. Débattre : les sciences (re)saisies par l’éducation
C’est donc par l’évocation des débats les plus contemporains que s’achève ce dossier, avec une troisième et dernière partie consacrée aux questionnements provoqués par le développement de discours neuroscientifiques sur l’éducation. Si la thématique de ce dossier s’ouvrait par le « saisissement » de l’éducation par les sciences, il se termine ainsi par un basculement progressif de perspective, au sein duquel les pratiques scientifiques elles-mêmes deviennent l’objet du questionnement philosophique, et où la question de l’éducation fait figure de pierre de touche.
Le texte de Michel Fabre revient notamment sur l’irruption des recherches en neuroscience appliquées à l’éducation. En quoi les résultats obtenus par les neurosciences fournissent-ils des éclairages utiles voire nouveaux sur les apprentissages ? Ce faisant, il met en lumière tant les apports scientifiques que ces recherches ont permis de produire, que les limites inhérentes à de telles démarches, dont le programme ne saurait constituer une forme compréhensive, organisatrice, et suffisante. Si l’appui scientifique est nécessaire à l’éducation, il ne saurait cependant se suffire à lui-même et porter seul les finalités de l’apprentissage, discriminer avec pertinence les contenus à aborder ou encore discerner avec justesse la désirabilité des processus et des démarches à l’œuvre, face à la complexité et à la singularité des situations d’enseignement, situations avant tout et malgré tout humaines.
Le texte de Jean-Marc Lamarre poursuit ce mouvement en se penchant de manière approfondie sur le livre publié en 2016 par Céline Alvarez, intitulé Les lois naturelles de l’enfant. Loin de porter l’opprobre sur la démarche dont ce livre rend compte, il s’attache plutôt à tenter de comprendre quels sont les ressorts d’un tel dispositif, articulant approche neuroscientifique et pédagogique Montessori. En quoi ce projet est-il émancipateur ? En quoi permet-il aux individus qui en sont les destinataires de pouvoir trouver leur place dans le monde, et en être les acteurs, individuellement et collectivement ? La justification n’est pas l’application. Une telle analyse nous permet alors de revenir sur la distinction entre applicationnisme et scientisme, dans la mesure où il s’agit moins ici d’instrumentaliser un certain type de savoir scientifique, que de placer dans la science et ses attributs une vertu et une croyance dont elle ne saurait être porteuse ni garante. L’aveuglement et la récupération à des fins d’instrumentalisation en sont les principaux risques, et nous rappellent qu’aux dimensions scientifiques et praxéologiques s’ajoute nécessairement la dimension axiologique.
La question que pose alors Camille Roelens est celle d’une cohabitation possible, d’un « acoquinement raisonnable » entre neurosciences et philosophie de l’éducation. Aussi, la tentation applicationniste ne serait pas uniquement à rechercher dans les velléités d’un discours scientifique, dont la finalité consiste légitimement à trouver des applications possibles en pratique. La question ici posée est bien celle de l’autonomie, c’est-à-dire de la possibilité laissée et des capacités données à l’autre, et notamment aux praticiens dans le champ de l’éducation et de la formation, de construire une démarche et une posture professionnelle dont la norme ne soit pas située ni recherchée dans une extériorité, dont le discours scientifique serait ici le porteur. La philosophie y trouve ici une place, importante car transversale, consistant à ouvrir de nouveaux horizons, à tisser des liens et à encourager le questionnement critique des acteurs, dans le dialogue qu’elle est invitée à maintenir avec les neurosciences comme dans la réflexion que chacun est invité à nourrir vis-à-vis de la tentation applicationniste.
Car, comme le rappelle le texte d’Alain Kerlan afin de clore ce dossier, la crainte de voir s’immiscer voire s’imposer une forme d’applicationnisme s’inscrit dans une histoire longue, faite de continuités et de moments critiques, durant lesquels se cristallise une telle méfiance envers les discours scientifiques, face à des tentatives, plus ou moins appuyées, de chercher en eux des « recettes » voire une certaine « pierre philosophale ». Face à cet imaginaire persistant et récurrent, il s’agirait de tracer des pistes de sortie. L’une consisterait, suivant Barbara Stigler et John Dewey dont elle s’inspire, à sortir d’une conception métaphysique, faite de dualismes séparant la théorie et la pratique, la science et ses applications, l’activité et la passivité, les experts et les profanes etc., afin de promouvoir le développement d’une anthropologie philosophique au sein de laquelle soit restaurée l’autorialité des sujets. Une autre, tout aussi complémentaire, nous inviterait à revenir sur nos imaginaires de l’éducation, ce dont ils parlent, ce à quoi ils nous ouvrent, afin de suspendre la « parlerie » éducative, au profit d’une pensée des conditions de production de nos imaginaires éducatifs, de leurs horizons, de leurs attentes, et donc de nous-mêmes.
Remerciements
Nous tenons à remercier l’ensemble des auteurs, experts et relecteurs ayant participé à la constitution de ce dossier, inaugurant le premier numéro de l’Annuel de la Recherche en Philosophie de l’Education (ARPHE). Nous tenons également à remercier l’Université de Tours, et l’équipe de recherche EA7505 Education, Ethique et Santé, avec qui avait été organisé le colloque de la Sofphied au mois de juin 2019, dont est issue une partie des textes présentés dans le cadre de ce dossier. Une telle entreprise nous rappelle, si besoin en était, la nécessité et la vitalité d’une approche philosophique en éducation. Que les recherches qui sont ici exprimées puissent continuer de nourrir des pratiques de formation s’appuyant sur la philosophie, et venant en retour enrichir la réflexion philosophique sur l’éducation.
Annuel de la recherche en philosophie de l’éducation ISSN 2779-5292