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lundi 14 mars 2022

Pour citer ce texte : MUSTIÈRE P.. (2022). Jules Verne, l’enchanteur et « le désenchantement du monde » : le paradigme de la catastrophe Annuel de la Recherche en Philosophie de l’Education , 2
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Jules Verne, l’enchanteur et  « le désenchantement du monde » : le paradigme de la catastrophe 

 

Philippe MUSTIÈRE 
École Centrale de Nantes1  

 

Résumé : Devant la naissance du sentiment de l’absurde, devant ce hiatus désormais installé entre les intérêts de la science et ceux de l’humanité, entre progrès et liberté, Jules Verne va décrire les bouleversements successifs de la société industrielle de la fin du XIXe siècle. Le monde dans lequel vit Jules Verne est loin d’avoir toutes les qualités dont le triomphalisme scientiste a bien voulu le décorer ; c’est déjà un monde qui suinte une étrange angoisse. Au lieu de présenter un monde parfait, la dystopie vernienne propose une anticipation sociale, décrivant, avec pessimisme, un avenir sombre et un futur apocalyptique. Amer vis à vis du « désenchantement du monde », Jules Verne, l’enchanteur de nos lectures d’enfance, est devenu désenchanté, voire désenchanteur. Jules Verne, c'est finalement, d'une part, le paradoxe d’un écrivain obligé de dissimuler sa désillusion derrière la naïveté de façade de récits pour la jeunesse et les familles, et, d'autre part, l’oscillation pendulaire de son imaginaire utopique entre fol espoir et désespoir. 

Mots-clés 
Désenchantement, catastrophe, sublime, nature, dystopie. 

 

Abstract :  Faced with the birth of the feeling of the absurd, before this hiatus now installed between the interests of science and those of humanity, between progress and freedom, Jules Verne will describe the successive upheavals of industrial society at the end of the 19th century. . The world in which Jules Verne lives is far from having all the qualities with which scientific triumphalism has been kind enough to decorate it; It is already a world oozing with strange anxiety. Instead of presenting a perfect world, the Vernian dystopia offers social anticipation, describing, with pessimism, a bleak future and an apocalyptic future. Bitter towards "le désenchantement du monde", Jules Verne, the enchanter of our childhood readings, became disenchanted, even disenchanted. Jules Verne is ultimately, on the one hand, the paradox of a writer forced to hide his disillusion behind the naive facade of stories for youth and families, and, on the other hand, the pendular oscillation of his utopian imagination between mad hope and despair. 

Keywords 
Disenchantment, catastrophe, sublime, nature, dystopia. 

 

On sait peu que Jules Verne (1828-1905), celui qu’on appela le « romancier de la science », souvent considéré comme le chantre du progrès, a laissé constamment percer les doutes que lui inspirait la société future dans des récits où les catastrophes révèlent la fragilité de la civilisation. Par exemple, une de ses nouvelles L'Éternel Adam traduit la hantise du cataclysme, de l'engloutissement brutal d'un monde dont rien ne restera, pas même le capital de connaissances et de découvertes. Rescapés miraculeux d'un effondrement de toutes les zones habitées, les héros de cette nouvelle trouvent leur salut sur un petit îlot, puis sur un navire condamné à l'errance avant d'échouer sur un continent nouveau, sorte d’Atlantide surgie des fonds marins. S'ils survivent, c'est au prix d'un retour à la barbarie. 

 

En fait, l’œuvre de Jules Verne pose les problèmes de son époque et leur apporte une réponse très ambivalente, puisque notre auteur, en homme du XIXe siècle, fut finalement incapable de trancher entre le destin et la providence ; entre le racisme vis-à-vis des noirs et la sympathie pour les peuples colonisés et opprimés ; entre le nationalisme et l’internationalisme ; entre le mirage américain et le péril américain ; entre sa fascination pour l’or et la conscience de son caractère dérisoire. 

 

Devant la naissance du sentiment de l’absurde, devant ce hiatus désormais installé entre les intérêts de la science et ceux de l’humanité, Jules Verne va décrire les bouleversements successifs de la société industrielle de la fin du XIXe siècle. On retrouve, dans son œuvre, bon nombre des lignes de force du XIXe : sensibilité aux mouvements populaires, idéal saint-simonien de domination de la nature, éloge romantique de l’insoumission, foi en la science. 

 

C’est cela le « projet » vernien, même s’il se dégrade et finalement se brise progressivement à partir de 1880. En effet, à partir de cette date (quoique la redécouverte en 1994, dans un coffre dont on avait perdu les clés, du manuscrit de Paris au XXe siècle2 , premier roman de 1863 refusé par Hetzel, contredise singulièrement cette division en deux périodes), dans les années 1878-1880, date de parution des Cinq cents millions de la Bégum, la critique sociétale se fait plus vive. Jules Verne est alors confronté à la dure réalité politique de son temps, alors qu’il en avait largement fait abstraction dans les premiers Voyages extraordinaires. 

 

Grâce à la découverte de ce premier roman Paris au XXe siècle, nous savons maintenant que le pessimisme à l’égard de la science ne doit pas être vu comme une caractéristique du dernier Jules Verne, mais comme une constante de sa pensée, qui alterne avec l’enthousiasme pour le progrès dont les inconvénients contrebalancent les avantages. Le monde dans lequel vit Jules Verne est loin d’avoir toutes les qualités dont le triomphalisme scientiste a bien voulu le décorer ; c’est déjà un monde qui suinte une étrange angoisse, un monde déjà perverti par la technologie, voyant se profiler la faillite des cités en perdition. Il faut oser parler de cette névrose générale, de cette névrose historique et conjoncturelle, qui a touché la plupart des écrivains de cette époque, à commencer par Flaubert, Zola ou Huysmans. Les mondes verniens vont tous partir à la dérive, se démanteler aussi bien dans Le Pays des fourrures que dans Hector Servadac, ou L’Éternel Adam. Finalement, les villes rêvées de Jules Verne vont toutes exploser, comme Milliard-City dans L’Île à hélice. 

 

Pas une ne représente la ville idéale3 , ni les villes concentrationnaires Stahlstadt (dans Les Cinq cents millions de la Bégum), ni Blackland (dans L’Étonnante aventure de la Mission Barsac), ni même Antékirtta (dans Mathias Sandorf), ni même Libéria (dans Les Naufragés du Jonathan) ; pas plus qu’Universal-City (dans La Journée d’un journaliste américain en 2989), Paris (dans Paris au XXe siècle), ou Amiens (dans Amiens, ville idéale en l’an 2000), ni même l’hygiénique et aseptisée Franceville (dans Les Cinq cents millions de la Bégum). Car si Jules Verne mérite parfois sa réputation d’auteur de science-fiction par ses extrapolations, (encore que la plupart des « inventions » attribuées à Jules Verne existaient déjà à son époque, exemple : le sous-marin Nautilus de Fulton déjà immergé à Rouen dès 1800), Jules Verne apparait tout autant être un auteur de « politique-fiction4  ». Il imagine souvent bien plus les perspectives politiques et sociales ouvertes à l’avenir de l’humanité que les perspectives scientifiques et techniques. 

 

Les Cinq cents millions de la Bégum avec la confrontation de deux cités futuristes, ou Sans dessus dessous avec ses fantasmes de réaménagement des zones polaires qu’une conférence internationale vend aux enchères, L’Île à hélice comme perversion de la puissance américaine, en sont des exemples très parlants. 

 

La beauté de la catastrophe : le sens du sublime

 

Avec la notion de catastrophe, Jules Verne exploite un nouveau paradigme, dans ce XIXe siècle où l’impossible devient certain, provoquant une sorte d’exaltation et d’effroi qui ressemble au sentiment du sublime, au sens que donnent à ce mot Burke et Kant. 

 

Pour Edmund Burke, dans le sublime, c’est la nature qui demande à l’art de la seconder, de la faire être afin qu’elle se révèle. Ainsi Burke reprend, dans son livre à succès de 1757, Recherches philosophiques sur l’origine de nos idées du sublime et du beau, le rapport étroit entretenu entre « le beau et le terrible », comme l’avaient déjà intuitionné le philosophe grec Longin, ou encore Boileau dans son Traité du sublime. 

 

De son côté, Kant, dans son tout premier essai Coup d’œil sur les maux qu’a produits la civilisation, puis dans Critique sur la faculté de juger (1790), affine encore ce concept esthétique du sublime, en le liant à l’incommensurable, à l’inexprimable, que seul le récit poétique peut transcender. Comme tel, le sublime déclenche un étonnement inspiré par la crainte ou le respect, comme c’est le cas de toutes ces catastrophes naturelles qui peuplent les romans de Jules Verne, typhons, éruptions, inondations diluviennes, incendies ravageurs…, etc. 

 

Burke et Kant estiment que la beauté n’est pas l’unique valeur esthétique. D’ailleurs, de cette thèse nombre de poètes et de romanciers du second XIXe siècle s’en feront un credo, en premier lieu Baudelaire. Ainsi, pour Jules Verne décrivant maints naufrages dans des tempêtes déchainées, c’est le sentiment du sublime qui semble toujours prévaloir. Comme le temps des catastrophes qui est cette temporalité en quelque sorte inversée, de même l’espace des catastrophes renvoie chez Verne à une nouvelle spatialisation : le voyage extraordinaire. 

 

La catastrophe, pour Verne, comme le remarque Michel Serres, est un fait providentiel, échappant à la puissance humaine, désignant la plupart du temps, une gestion rationnelle du sacrifice5 .  C’est cette idée qu’avait déjà suggérée René Girard, penseur du désir et de la violence6 . Ainsi à travers des catastrophes industrielles, sanitaires (épidémies) ou le plus souvent climatiques dans les Voyages extraordinaires, l’homme n’a pu se réaliser que dans une société dont les mythes sont bornés de cauchemars7 .

 

Le paradoxe va être pour Jules Verne : comment se positionner, en homme du XIXe siècle, dans cette dialectique entre les catastrophes de la puissance, celles qu’entraînent l’extension démesurée du pouvoir des hommes sur le monde, et les catastrophes de la violence, celles qui à l’époque de Jules Verne, étaient liées à la violence de la Nature ? 

 

Cela renvoie, nous le constatons tous les jours, à cette part de réactions populaires, de superstitions qui a partie liée, lors de la catastrophe, à cette irruption de l’irrationnel que continue de dénoncer Jules Verne, lui préférant alors des investigations plus scientifiques8 . Chez Jules Verne, sont légion inondations, typhons, séismes, éruptions volcaniques, explosions en tous genres, au fulmicoton ou à l’électricité. Dès Cinq semaines en ballon, le premier des Voyages Extraordinaires publié par Hetzel, on peut même lire : « Je me suis toujours figuré que le dernier jour du monde sera celui où quelque immense chaudière, chauffée à trois milliards d’atmosphères, fera sauter notre planète. » 

 

La fin du monde rebondit chez Jules Verne de « voyage en voyage », faisant de notre auteur le plus le plus impressionnant catastrophographe de son temps. On dirait aujourd’hui « collapsologue ». 

 

D’où l’intérêt d’analyser comment l’utopie fouriériste ou saint simonienne s’est transformée dans l’œuvre de Jules Verne en contre-utopie ou dystopie. Au lieu de présenter un monde parfait, la dystopie vernienne propose une anticipation sociale, décrivant, avec beaucoup de pessimisme, un avenir sombre et un futur apocalyptique. On le voit bien dans Paris au XXe siècle et Les Cinq cents millions de la Bégum, où la différence entre dystopie et utopie tient moins au contenu (car, après examen, les utopies positives peuvent aussi se révéler effrayantes, sociétés hygiéniste où on n’a plus le droit de rien faire de manière à éviter la contamination) qu’à la forme littéraire et à l’intention de son auteur. 

 

S’inscrivant dans la lignée de Saint-Simon, d’Owen et de Fourier, Jules Verne n’a cessé, dans ses Voyages extraordinaires, de nous emmener dans des ailleurs utopiques, de réactiver la puissance de défi qu’ils recèlent, tout en rappelant cependant la décadence cauchemardesque des cités de perdition. Car Verne, qui a anticipé bien des crises du monde contemporain (les dégâts du progrès, la puissance corruptrice de l’argent, les dangers de l’industrie médiatique), avait déjà perçu le caractère éminemment culturel de l’Utopie et de son envers la dystopie, à moins que les deux mots ne désignent la même chose ! La mythologie vernienne se nourrit d’imaginaire social, comme dans Les Naufragés du Jonathan ou L’Île à hélice ; elle ancre son imaginaire dans une réalité, à la fois économique, physique et scientifique. Ainsi, une des principales qualités de Jules Verne écrivain, n’est-il pas le scepticisme, cette capacité à ne pas adhérer, cette capacité à porter un vrai regard sur le monde, à non seulement l’écrire, le décrire, mais à l’interroger. Et la catastrophe est bien cet événement qui fait récit, qui interrompt brutalement le continuum de l’histoire. 

 

Depuis Thomas More, le genre utopique n’a sans doute jamais cessé de se confronter aux désastres et a souvent été mis en rapport avec le catastrophisme. Déjà, chez More, la description de l’île d’Utopia ne peut se comprendre que comme la suite du premier livre, qui décrit l’Angleterre comme une dystopie. 

 

Plutôt que l’utopisme saint-simonien, dont l’impact sur Verne a maintes fois déjà été étudié par la critique vernienne (notamment par Jean Chesneaux9  ou par Nadia Minerva10 ), c’est « l’utopie fin-de-siècle » que je voudrais analyser chez Jules Verne : c’est-à-dire la recherche obstinée de l’idéal réalisé dans des pays de nulle part, à une époque de déclin de la foi dans le progrès. Car, au tournant du siècle – et Jules Verne en fut le témoin – le développement de l’utopie a été mis à mal par deux doctrines qui ont renversé les valeurs : ces doctrines sont celle de Darwin et celle de Freud. 

 

Jules Verne entre Darwin et Freud

 

En effet, l’évolutionnisme de Darwin avait donné lieu à une série de variations utopiques souvent très pessimistes qui préconisaient l’avènement de nouvelles formes de vie destinées à vaincre et à dépasser l’homme. Si l’utopie, traditionnellement, fondait ses propositions sur la conviction que l’homme possédait par nature des caractères inaliénables pouvant être améliorés à travers la religion, la morale et la politique, le darwinisme efface cet idéal d’homme qui avait été à la base de l’utopie de la cité heureuse, idéal que l’on trouvait dans la « Callipolis » de Platon, dans le huitième livre de La République, ou même avant lui, dans la « Milet » d’Hippodamos, ainsi que, plus tard, dans « la Cité du Soleil » de Campanella, ou encore « la Saline royale d’Arc-et-Senans » de Claude Nicolas Ledoux. Cet idéalisme humaniste sera bousculé par les théories de Darwin. « Le traité sur l’origine des espèces » date de 1859. 

 

De son côté, l’analyse que fera Freud, cette fois, bien plus tard en 1929, du rapport entre l’homme et la civilisation mène à la conclusion que « le malaise dans la civilisation11  » ne dépend pas de rapports purement économiques ou politiques, mais de facteurs d’agressivité qui rendent contradictoire et condamnent à la faillite tout projet de bonheur global. L’on comprend mieux dès lors la suspicion qui déjà augmente, à partir de la Commune de Paris, à l’égard de l’optimisme béat des « bâtisseurs de rêves et de pays de chimères » ; ce qui fit dire à l’exégète vernien François Raymond12 que Jules Verne était « l’enfant terrible de l’utopie », avec ce chassé-croisé incessant entre utopie et contre-utopie dans son œuvre. 

 

Il nous faut encore une fois revenir sur le motif de la catastrophe. Car il semble bien que pour Jules Verne, même si la catastrophe nous est présentée, comme l’a rappelé Michel Fabre13 , comme un « chambardement général », avec la perte de tous les repères, et en particulier des repères spatiaux et temporels, l’analyse qu’il en fait demeure essentiellement morale, et pas vraiment socio-économique. C’est l’orgueil, « l’ubris » de l’homme dans son rapport de domination à la nature, qui est très souvent la cause de ces catastrophes annoncées. 

 

Assurément, ce qui intéresse Jules Verne dans la catastrophe, c’est finalement peu sa portée éducative, même si la publication des Voyages Extraordinaires se fait dans une collection pensée par Jules Hetzel et Jean Macé comme fondamentalement pédagogique. Peu de mots sur l’éducation dans l’œuvre, à part quelques vagues résurgences rousseauistes, ou, çà et là, des allusions aux bienfaits de la transmission népotique. La catastrophe reste souvent chez Verne un art de la représentation, de la mise en images. Jules Verne n’est pas Marx. Et si ses sympathies quarante-huitardes, voire anarchisantes, le poussent à pester contre la croissance enthousiaste, mais cancéreuse de la civilisation, laissant entrevoir la béance d’une fin du monde, son discours reste romanesque, et jamais philosophique, écologique ou sociologique. 

 

Les Voyages extraordinaires, un art de la dramaturgie

 

On a trop souvent maquillé l’œuvre de Jules Verne, en ne pensant pas, au préalable, les présupposés de l’entreprise. Les récits de Jules Verne, comme tous les récits de fiction, fonctionnent dans la formation de compromis, dans l’obturation d’un inconscient. Ainsi, ce qui compte dans Voyage au centre de la Terre, comme dans L’Étonnante aventure de la Mission Barsac, n’est pas tant le contenu manifeste d’une histoire bien rigoureuse, mais tous les éléments qui n’ont pu trouver d’autre expression que le récit mythique, que le « voyage extraordinaire ». Dans l’affabulation romanesque que constituent les récits de Jules Verne, ce qui importe n’est pas ce qui est dit, mais ce « à la place de quoi » on dit. Dans Le Chancellor, par exemple, le récit capte, met en scène nos désirs de fiction et, en même temps, dissimule le système qui les articule. Or ce système semble être systématiquement, chez Jules Verne, le bouleversement, le soubresaut, la cassure. 

 

Œuvre pour enfants sages, œuvre prophétique, œuvre thuriféraire de la science, comme on l’a dit, les Voyages Extraordinaires sont, en fait, le contraire d’une œuvre rassurante. La vulnérabilité, l’état de crise, cumulé et diffus dans les turbulences successives des sociétés verniennes, trouvent une illustration naïve et primitive dans les nombreux romans-catastrophes de Jules Verne. Ce dernier trahit ainsi son angoisse devant le grand mouvement en cours par le monde. Cela fait que la lecture bachelardienne de l’œuvre de Jules Verne demeure une des plus intéressantes, comme celles qu’ont fait, sous cet éclairage, Simone Vierne, Michel Butor, Michel Serres. 

 

 Hanté, par les forces élémentaires du cosmos, par les forces du règne vivant, par les forces du devenir, par les forces de l’âme, par les désirs et les songes, mais craignant leur manifestation désordonnée, Jules Verne tente finalement de tout figer dans des images, des clichés, des volontés et des vertus rassurantes, dans des hiérarchies et des classifications, des nomenclatures et des taxinomies aussi minutieuses qu’exhaustives. 

 

On comprend dès lors pourquoi sur le plan de l’idéologie, Jules Verne peut nous apparaître amer vis à vis du « désenchantement du monde », pour reprendre une expression de Max Weber, analysée par la suite par Marcel Gauchet et Jacques Ellul. 

 

En conclusion…

 

Voilà l’axiome vernien : Jules Verne, l’enchanteur de nos lectures d’enfance, devenu désenchanté, voire désenchanteur. Jules Verne, c’est finalement, d’une part, le paradoxe d’un écrivain obligé de dissimuler sa désillusion derrière la naïveté de façade de récits pour la jeunesse et les familles, et, d’autre part, l’oscillation pendulaire de son imaginaire utopique entre fol espoir et pessimisme. 

 

Bibliographie

 

Chesneaux, J. (2001). Jules Verne, un regard sur le monde, nouvelles lectures politiques. Bayard Éditions. 

Clamen, M. (2005). Jules Verne et les sciences. Cent ans après. Belin éditeur. Pour la science. 

Fabre, M.  (2022). Éduquer dans l’horizon de la catastrophe. Hans Jonas et la problématicité radicale du monde. Dans Actes du Colloque « Éduquer pour un avenir incertain ; la fin de l’école prométhéenne ». Annuel de la Recherche en Philosophie de l’Éducation, II [en ligne]. 

Freud, S. (1971). Malaise dans la civilisation [1930]. PUF, La bibliothèque de psychanalyse. 

Girard, R. (1978). Des choses cachées depuis la fondation du monde. Grasset. 

Minerva, N. (2001). Jules Verne aux confins de l’utopie. Édition L’Harmattan. 

Mustière, P. (1978), Jules Verne et le roman catastrophe, dans la Revue Europe n°595-596, Novembre-Décembre, Édition français réunis. 

Raymond, F. (1992). Roman de la science et science du roman. Dans Jules Verne (6) : La science en question. Revue des Lettres Modernes, 1083-1092. 

Serres, M. (2009). Temps de crises. Éd. Le Pommier. 

Verne, J., Œuvres, notamment : Les Voyages extraordinaires (Éditions Michel de L’Ormeraie, 1977, Collection intégrale originale Hetzel), Paris au XXème siècle (1863), Sans dessus dessous (1889), Maître du monde (1904) L’invasion de la mer (1905), Le volcan d’or (1906), L’éternel Adam (1910) L’étonnante aventure de la Mission Barsac (1919). 

 

Notes

 

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 NDE : Ce texte, bien que plus littéraire que philosophique, figure dans ce numéro car l'auteur a été invité au colloque de la Sofphied (Nantes, 2021) en tant que membre d'un groupe de travail associé au CREN et consacré au sujet du colloque. Spécialiste de Jules Verne et organisateur de nombreux colloques sur Jules Verne et les questions socialement vives posés par les sciences et la technique, l'auteur a pu apporter un éclairage vernien sur la science et la fiction réunies, et contribuer ainsi à la réflexion sur l'éducation dans le contexte d'un avenir incertain. 

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 Verne, J. (1994). Paris au XXe siècle. Hachette/le Cherche Midi. 

[←3

 Mustiere, P. & Fabre, M., (dir.) (2013). Jules Verne, Science, crises et utopies. Actes des 4e Rencontres Jules Verne. Éditions Coiffard Librairie Editeur. 

[←4

 Verne, J. (1976). Sans dessus dessous [1889]. Éditions Glénat, « Marginalia ». 

[←5

  Serres, M. (2009). Temps de crises. Éd. Le Pommier. 

[←6

  Girard, R. (1978). Des choses cachées depuis la fondation du monde. Grasset. 

[←7

 Mustière, P. (1978). Jules Verne et le roman catastrophe. Europe, 595-596, novembre-décembre. Éditeurs français réunis, 43-47. 

[←8

 Clamen, M. (2005). Jules Verne et les sciences. Cent ans après. Belin éditeur. Pour la science. 

[←9

 Chesneaux, J. (2001). Jules Verne, un regard sur le monde. Bayard Éditions. 

[←10

 Minerva, N. (2001). Jules Verne aux confins de l’utopie. Édition L’Harmattan. 

[←11

 Freud, S. (1971). Malaise dans la civilisation [1930]. PUF, La bibliothèque de psychanalyse. 

[←12

 Raymond, F. (1992). Roman de la science et science du roman. Dans Jules Verne (6) : La science en question. Revue des Lettres Modernes, 1083-1092. 

[←13

 Fabre, M.  (2022). Éduquer dans l’horizon de la catastrophe. Hans Jonas et la problématicité radicale du monde. Dans Actes du Colloque « Éduquer pour un avenir incertain ; la fin de l’école prométhéenne ». Annuel de la Recherche en Philosophie de l’Éducation, II [en ligne]. 

Annuel de la recherche en philosophie de l’éducation ISSN 2779-5292