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mardi 28 mars 2023

Pour citer ce texte : HAWKEN, J.. (2023). (Re)construire un éveil politique à l’esprit critique : l’éclairage de Bell Hooks face à la vision institutionnelle française Annuel de la Recherche en Philosophie de l’Education , 3 ,
[https://www.sofphied.org/annuel-de-la-recherche-en-philosophie-de-l-education/arphe-2022/dossier/article/re-construire-un-eveil-politique-a-l-esprit-critique-l-eclairage-de-bell-hooks]

(re)Construire un eveil politique à l’esprit critique : 
 l’éclairage de Bell Hooks face à la vision institutionnelle française 

 

Johanna Hawken 
Université de Liège 

 

Résumé : La formation de l’esprit critique occupe une place cruciale dans le champ éducatif et donne lieu, notamment depuis 2015, à de multiples textes institutionnels et préconisations officielles. Cette vision institutionnelle française, en 2022, peut être réinterrogée en adoptant d’autres angles, afin de gagner en cohérence dans la relation pédagogique aux élèves : nous avons fait ce choix en nous inscrivant dans le champ de la pédagogie critique (inspirée de l’œuvre de Paulo Freire) et des travaux de bell hooks, notamment son ouvrage Teaching critical thinking (2010). Sa conceptualisation de l’esprit critique et de son éducation pourrait apporter un éclairage significatif pour l’Education Nationale : partant d’un corpus de textes institutionnels français, nous avons donc analysé les angles et les hypothèses proposées par hooks, afin de les mettre en regard avec la vision actuelle de l’Éducation Nationale française.  

 

Mots-clés : esprit critique, institution, conscientisation, dialogue.  

 

Abstract : The education of critical thinking, at school, plays a crucial role in the educational context : in France, since 2015, numerous official texts et official recommendations have been published these past few years. This French institutional vision, in 2022, can be put in question, in order to gain consistency in the pedagogical relationship, thanks to other theoretical angles : in that perspective, we have made the choice to place our work in the field of critical pedagogy (inspired by Paulo Freire’s curricula) and in the continuity of the work of bell hooks, as developed in her book Teaching critical thinking (2010). Her conceptualization of critical thinking and of its education could bring a significant insight for the Education Nationale : starting with the study of a corpus of institutional texts, we have analyzed the different angles and hypotheses offered by hooks, in order to compare them with the current vision of the School, in France. 

 

Introduction 

 

Les institutions éducatives, comme toutes les autres, conceptualisent et se construisent par la (re)construction des concepts qui équivalent parfois à des questions vives, pour la société et pour l’École. Ces questions – qui sont qualifiées de « vives », à l’École, dans la mesure où elles créent un débat polémique, affectivement clivant, complexe et interpellent à la fois les citoyens, les élèves et les acteurs de la transmission du savoir – correspondent parfois aussi à certaines notions philosophiques majeures.  

Parmi ces concepts empreints de vivacité, l’esprit critique occupe le devant de la scène : considérant que la formation de l’esprit critique constitue non seulement une question interdisciplinaire1 , mais en plus une problématique politique brûlante en 2022 (en raison de la montée en puissance de la radicalisation, des extrémismes, du complotisme, des fake-news), il est intéressant d’aller interroger les angles (morts ou non) qui déterminent les contours de sa conceptualisation par l’Éducation Nationale.  

Pour cela, nous souhaitons analyser la conception de l’esprit critique proposée bell hooks2 afin de la mettre en regard avec la vision institutionnelle française, telle qu’elle apparaît dans les textes officiels de l’Éducation Nationale (dont le corpus sera présenté en première partie). Hooks considérait qu’il est essentiel de réinterroger les discours diffusés par les institutions au pouvoir. J’ai donc pensé qu’il serait intéressant de soumettre l’Éducation Nationale à cet exercice, afin d’analyser ce qu’elle en dit, mais aussi ce qu’elle laisse dans la marge. 

 

Les travaux de bell hooks s’inscrivent dans un contexte intellectuel singulier, celui des « Critical Studies in Education », et sont fortement inspirés par la pédagogie critique élaborée par Paulo Freire. Son œuvre, mêlant analyse littéraire et études féministes, est notamment constituée d’une trilogie dédiée à la question éducative (hooks, 1994, 2004, 2010). L’un de ces volets, Teaching critical thinking, n’a pas encore été diffusé en France : ce texte, entièrement dédié à la formation de l’esprit critique, nous permettra de dresser un portrait de cette compétence selon l’intellectuelle américaine. Afin d’éviter tout confusion, il convient de noter que notre analyse porte donc sur la conception hooksienne de l’esprit critique au sein de la pédagogie critique  – en veillant à ne pas confondre ces deux ensembles, dans la mesure où l’approche de la pédagogie critique recouvre des pratiques éducatives beaucoup plus larges que celles ciblant spécifiquement l’esprit critique des élèves. Nous espérons ainsi décrypter en détail la posture intellectuelle propre à l’esprit critique. 

Dans la mesure où la pédagogie critique se définit notamment par l’alliance de la théorie et de la pratique, nous souhaitons proposer, tout au long de notre article, des activités éducatives pouvant correspondre aux enjeux de l’esprit critique délimités par bell hooks. Comme l’écrit Irène Pereira, la pédagogie critique, « est une praxis qui articule une approche critique spécifique et des pratiques pédagogiques pensées en cohérence avec elle » (2018 : 11). De ce point de vue, toute philosophie de l’éducation serait tenue de se transposer dans l’expérimentation d’une pratique éducative, sous peine d’être réduite à une coquille théorique vide.  

 

L’esprit critique désigne couramment une posture intellectuelle consistant à ne recevoir pour vrai que ce qui a été soumis à l’examen et à mener un processus d’évaluation rigoureuse et réfléchie afin de choisir d’y adhérer, ou non. Du point de vue de l’Éducation Nationale, l’éveil de l’esprit critique relève d’une pratique de traitement intellectuel exigeant et prudent du savoir et de l’information, par l’examen des énoncés, des faits, des preuves et des sources en vue de distinguer les énoncés valables des énoncés erronés. Bell hooks y ajoute que l’éveil de l’esprit critique doit s’appuyer sur une activité consciente, collective, normative et dialogique du traitement intellectuel des savoirs issus de l’environnement social et politique, en lien avec le traitement des savoirs scientifiques. Ainsi, ces deux conceptualisations divergent mais se chevauchent sur un point : la nécesssité d’une activité cognitive d’examen des contenus en vue de juger de leur validité, grâce à un questionnement d’ordre épistémologique. Ainsi, partant de ce chevauchement - qui fait apparaître un dimension nécessaire, juste et difficilement contestable de l’esprit critique -, notre problématique est la suivante : en nous inscrivant dans la continuité d’une vision épistémologique de l’esprit critique, quels éclairages spécifiques et divergents bell hooks peut-elle donc apporter concernant, précisément, les éléments visés par les textes institutionnels de l’Education Nationale ? Dans quelle mesure les écrits de hooks peuvent-ils questionner la conception de l’éveil de l’esprit critique portée par l’institution scolaire et révéler certains présupposés liés à la prééminence de la dimension épistémologique ?  

 

1. Analyse du corpus institutionnel de l’Éducation Nationale : quelle vision de l’éducation à l’esprit critique ? 

 

Que disent les textes officiels de l’Education Nationale sur la question de l’esprit critique ? Ce discours a connu certains tournants majeurs autour d’évènements qui l’ont nettement infléchi (Abécassis, Mathias, 2020 : 6 ; Pasquinelli, Bronner, 2021 : 6 ; Attali, Bidar, Caroti et Coutouly, 2019 : 9, 16) : les Attentats de 2015, l’assassinat de Samuel Paty, l’essor du complotisme et des fake-news, dans leurs liens, notamment, avec les crises sanitaires et environnementales. Le corpus institutionnel que nous avons délimité contient les textes suivants, qui sont actuellement recommandés aurpès des enseignants en tant que textes de référence : 

 

  • Le rapport N°2021-147 de l’Inspection Générale de l’Education, du Sport et de la Recherche, intitulé Développement de l’esprit critique chez les élèves et publié en juillet 2021 ; 

 

  • Les travaux conduits en 2021 par le Conseil Scientifique de l’Education Nationale (CSEN) et coordonnés par Elena Pasquinelli et Gérald Bronner « Éduquer à l’esprit critique. Bases théoriques et indications pratiques pour l’enseignement et la formation »3 ; 

 

  • Le rapport de Serge Barbet, directeur délégué du Centre pour l’éducation aux médias et à l’information (CLÉMI), qui a été remis au ministre le 1er juillet 2021 ; 

 

  • La fiche pratique EDUSCOL éditée en 2013, mise à jour en 2021  

 

  • L’ouvrage de Gérard Attali, Abdennour Bidar, Denis Caroti et Rodrigue Coutouly L’esprit critique. Outils et méthodes pour le Second degré, publié en 2019 par le réseau CANOPÉ. 

 

1.1. Éducation à l’esprit critique et prédominance de la question épistémologique 

 

Le premier élément concerne la prédominance de la question du rapport au savoir et à l’information, à défaut – par exemple - d’un rapport à la réalité et à l’expérience (notamment sociale, politique ou économique) : tout l’enjeu est d’apprendre à distinguer les savoirs des fausses connaissances, les informations des fausses informations. Ainsi, la formation Eduscol se centre autour de compétences telles que « évaluer l’information », « distinguer les faits et les interprétations », « évaluer les interprétations », « savoir ce que l’on sait avec certitude », « distinguer les hypothèses et les interprétations validées par l’expérience ». Ici, l’esprit critique est défini comme « une disposition de l’esprit qui consiste à ne jamais admettre une affirmation, un jugement ou un fait sans en avoir reconnu la légitimité rationnelle ou sans en avoir éprouvé la valeur » (2016 : 2). Il s’applique aux énoncés, aux contenus et aux jugements dont l’individu est récepteur et relève d’un exercice cognitif qui tente de mêler l’analyse, l’examen et le décryptage de ces énoncés afin d’en évaluer la validité et le statut (connaissance ? information ? erreur ? fausse information ?). Comme l’indique le rapport N°2021-147, « l’esprit critique est une perspective, il traduit l’angle sous lequel l’énoncé est appréhendé et compris, éventuellement infléchi, altéré ou transformé » (Abécassis, Mathias, 2021 : 2). Mais cette définition de l’esprit critique comme exercice du jugement rationnel sur les énoncés est-elle suffisante pour devenir un penseur critique ? Ne faut-il pas imaginer, également, qu’il convient de savoir décrypter une situation ? Une expérience ? Un évènement ? Dans les textes institutionnels français, l’esprit critique est défini, finalement, comme une compétence dont les enjeux sont (strictement) épistémologiques : comment déterminer la vérité ou la validité d’un énoncé ? Quelles procédures maîtriser pour déterminer les sources et les preuves d’une information ? Comment développer chez les élèves une forme de distance intellectuelle avec les contenus qui les assaillent ? Cette prééminence épistémologique se traduit par certaines préconisations : dans le Rapport N°2021-147, il est recommandé d’associer deux types d’action pour former l’esprit critique : d’une part, une formation « à bas bruit » par laquelle l’acquisition des savoirs fiables et de leur méthodologie permettra à l’élève de saisir la singularité de la sphère du savoir ; d’autre part, une formation « à haut bruit » qui sera menée au travail de l’Éducation aux Médias et à l’Information (EMI) afin d’apprendre à passer les informations au crible de la critique. Dans les deux cas, il s’agit d’apprendre à interroger le contenu en se confrontant à des enjeux épistémologiques : comment être certain de la fiabilité de ce contenu ? Est-il valable, fiable, vrai ? Est-il le produit d’un processus rigoureux ? Dois-je adhérer à cet énoncé ? 

 

1.2. Éducation à l’esprit critique et traitement des médias et de l’information. 

 

Le deuxième élément prééminent dans la vision institutionnelle française est l’accent mis sur le rapport aux médias et à ses objets hétéroclites : les internets, la télévision, l’image, les réseaux sociaux, les informations et, surtout, les fausses informations. Très rapidement, les textes institutionnels se concentrent sur l’urgence d’une sensibilisation aux multiples mensonges qui circulent sur ces nouveaux supports.  

 

« Une maîtrise des médias, une connaissance des processus de production et de diffusion de l’information et, désormais, une compréhension aussi extensive que possible, non seulement des fonctionnalités, mais aussi des logiques plurielles des réseaux deviennent un corpus de connaissances rigoureusement indispensables à la formation des élèves, des étudiants, des futurs adultes et citoyens » (Abécassis, Mathias, 2021 : 5).  

 

Dans cette perspective, de multiples supports et exercices sont proposés par l’Éducation Nationale et le CLEMI afin de décrypter les fausses informations, les images truquées, les théories du complot. Ici, nous retrouvons d’ailleurs le sens originel du terme critique (« krinein »4 ). « Ressaisi dans le contexte de l’EMI, l’esprit critique désigne bien la capacité à avoir une lecture distanciée des contenus et des formes médiatiques au sein desquels l’esprit doit discerner pour mieux juger » (Eduscol, 2016 : 5). En prise avec un phénomène finalement nouveau – les médias de masse -, le monde éducatif se démène pour trouver des méthodes et outils afin de s’armer contre ce flux continu d’informations et d’images. Ici, les degrés de vérité s’affrontent et posent problème, par le fait même que la vérité comporterait désormais des degrés.  

 

1.3. L’esprit critique et les injonctions politiques de la Refondation de l’École. 

 

Le troisième élément prédominant dans la conceptualisation institutionnelle actuelle de l’esprit critique concerne sa relation à la question de la refondation de la République – dont la charge revient notamment à l’École, depuis 2015 : autrement dit, une injonction politique forte pèse sur la formation à l’esprit critique, dans la mesure où les acteurs institutionnels ont peur du désengagement multidimensionnel (éthique, politique, épistémologique) des jeunes générations. On craint que les élèves n’adhérent plus aux Valeurs de la République ou, a minima, on estime qu’il est du ressort de l’École de cultiver une certaine relation à ces entités morales. Avec la question des valeurs, la formation de l’esprit critique se trouve associée à des enjeux axiologiques, à une formation non plus cognitive, mais morale des individus. Ainsi, par exemple, le Référentiel officiel considère que l’une des compétences centrales des enseignants  est d’ « aider les élèves à développer leur esprit critique, à distinguer les savoirs des opinions et des croyances, à savoir argumenter et à respecter la pensée des autres »5 . Ici, la dimension cognitive de l’esprit critique (distinguer, argumenter) se mêle à une dimension éthique (respecter autrui). Cet exemple est symptomatique d’un mouvement d’ensemble : on perçoit, en creux, l’idée que le manque d’esprit critique peut déboucher sur un mouvement de rejet d’autrui, si bien que la question de sa formation est un enjeu pour la préservation d’une forme d’unité de notre société.  

On peut donc faire l’hypothèse que la prééminence des enjeux épistémologiques face à l’esprit critique trouve son origine dans des enjeux politiques actuels, complexes et brûlants : c’est précisément la question du traitement du savoir et de l’information qui semble être l’une des sources du désengagement des élèves vis-à-vis des Valeurs de la République. Alors même que, très clairement, le rapport au savoir et à l’information constitue un enjeu éthique et politique, pourquoi choisir des méthodes d’éveil de l’esprit critique qui se détachent totalement de la sphère politique, en faisant comme si la question était strictement épistémologique ? Avec bell hooks, nous pourrions nous s’interroger : n’y a-t-il pas une forme d’incohérence à traiter sur le plan épistémologique une question relevant également d’enjeux politiques ? Peut-on cloisonner la dimension épistémologique et la dimension politique au sein même de l’esprit critique ? En quoi la conceptualisation hooksienne de l’esprit critique permet-elle de faire un lien entre ces deux dimensions ? Plus largement, dans quelle mesure sa conception de l’éveil de l’esprit critique peut-elle apporter des éclairages pertinents pour l’institution scolaire française ?  

 

2. Eveil de l’esprit critique et pédagogie dialectique chez hooks : la place du dialogue, de la pensée et du sujet. 

 

2.1. L’esprit critique comme pratique de la pensée sur la pensée, chez hooks. 

Le premier élément de définition de l’esprit critique par bell hooks concorde tout à fait avec la conception institutionnelle française : en effet, elle le décrit, de prime abord, comme un travail d’examen rationnel et de recherche de preuve permettant d’établir la validité d’un énoncé.  

« L’esprit critique consiste à regarder les deux côtés d’un problème, à être ouvert à de nouvelles preuves pouvant infirmer d’anciennes idées, à raisonner de façon impartiale, à exiger que les faits s’appuient sur des preuves, à déduire et à inférer des conclusions à partir de faits valables et à résoudre des problèmes » (hooks, 2010 :  8-9).  

Il s’agit de prendre le temps de connaître un fait ou un énoncé dans toute sa complexité, en lien avec son contexte (hooks, 2010 : 9). Mais ensuite, elle précise sa vision en accentuant la dimension introspective : l’esprit critique serait « l’art d’analyser et d’évaluer la pensée en tant qu’autodéterminée, auto-disciplinée, auto-contrôlée et auto-corrective ». Le travail de l’esprit critique devient donc un mouvement de la pensée sur elle-même dans la mesure où, en quelque sorte, l’esprit accueille le fait à évaluer, le transformant par là-même en idée, et le dissèque ensuite en son sein. Bell hooks ajoute : « penser la pensée, penser consciemment les idées, est un ingrédient essentiel de l’esprit critique ». Pourquoi ? Parce qu’ainsi on dépasse l’idée : on n’analyse pas seulement comme objet de pensée, mais on tente de découvrir l’univers caché sur lequel elle repose : les preuves, les arguments, les présupposés, les préjugés, les postulats, les croyances ou les convictions. Ces divers éléments sont les véritables cibles de l’esprit critique : c’est en général sur ceux-là qu’il s’agit de discerner les éléments valides et les éléments invalides « L’esprit critique (…) est une façon d’appréhender les idées de façon à comprendre les vérités fondamentales sous-jacentes, et pas seulement les vérités superficielles qui sont plus évidentes et visibles » (hooks, 2010 : 9). En outre, hooks montre qu’il se joue dans une relation aux contenus au moment où ils sont déjà devenus des objets de notre pensée, en nous : or, la méthodologie proposée par l’Education Nationale est centrée sur l’examen d’un contenu vu comme un objet extérieur, traité pour lui-même, comme s’il existait en soi, en dehors du sujet. Mais c’est bien la relation intérieure de l’esprit aux objets qu’il analyse en lui sous la forme d’idées qu’il s’en fait, qui est au cœur du processus critique. Traiter l’objet de la critique comme une réalité extérieure empêche l’élève de percevoir le véritable enjeu : lui-même, en tant que sujet, dans sa relation aux contenus qu’il laisse entrer en lui, dans son esprit.  

Mais au-delà de cette vision épistémologique, l’esprit critique est, pour hooks, intrinsèquement lié à la recherche de justice sociale. Il est, par nature, normatif, à l’image de la philosophie critique de l’éducation de l’autrice américaine (construite autour de la pédagogie féministe, à l’université). « Les perspectives féministes, dans la classe, revendiquent la primauté de l’esprit critique, du lien entre éducation et justice sociale » (hooks, 2010 : 94). Les choses sont claires : pour hooks, l’éveil de l’esprit critique doit être animée pour une volonté éthique et politique ciblant la justice sociale. Ainsi, non seulement il visera à analyser les faits, les énoncés, les informations sous ce spectre, mais en plus, il penchera son regard sur les situations de vie. On peut en déduire que l’esprit critique a pour charge de porter des questions comme : l’information, l’énoncé ou la situation porte-t-elle atteinte à un individu ? Les rapports de pouvoir sont-ils équilibrés ? Qui occupe une position privilégiée ? Les textes institutionnels français n’abordent pas la nécessité de décrypter les enjeux éthiques et politiques qui pourraient exercer un poid dans les contenus, les informations et les énoncés qui circulent autour des élèves. Au-delà de la question « est-ce vrai ? », ne faut-il pas encourager les élèves à se demander, face à une idée, : « est-elle juste ? », « est-il souhaitable d’adhérer à cette idée pour le bien de la société ? » ? Les critères éthiques – qu’il s’agisse de la justice, ou d’autres valeurs – ne semblent pas pris en compte – alors même que l’éducation à l’esprit critique est placée sous la tutelle de la refondation des Valeurs de la République. Paradoxalement, pour répondre à cette injonction morale, les outils pédagogiques proposés par l’Éducation Nationale se limitent à une appréhension intellectuelle de l’information. Les textes institutionnels dressent un portrait désincarné du rapport de l’individu aux énoncés, informations et aux idées : l’information est traitée comme un pur objet intellectuel visant à être analysé d’un point de vue strictement cognitif.  

2.2. L’esprit critique comme désir épistémique, chez bell hooks. 

Nous avons débuté notre cheminement dans l’esprit critique hooksien par la question du traitement intellectuel de l’information, mais en réalité, l’intellectuelle américaine raisonne à partir de ce qu’elle estime être le cœur même de l’esprit critique : le désir épistémique.  

« Le coeur de l’esprit critique est le désir de savoir – de comprendre la façon dont fonctionne la vie. Les enfants sont prédisposés, naturellement, à être des penseurs critiques. Au-delà des frontières de race, de classe, de genre ou de contexte, les enfants entrent dans notre monde fait d’étonnement et de langage animés par le désir d’apprendre » (hooks, 2010 : 7) 

Ce passage nous pose une question cruciale : comment faire en sorte que l’École préserve le désir épistémique des élèves et s’appuie sur celui-ci pour cultiver l’esprit critique ?  Un nœud existe entre l’esprit critique et le rapport au savoir : dans les rapports institutionnels, on voit bien que c’est dans une relation de défiance aux savoirs (disciplinaires, scientifiques) que se trouvent les germes du complotisme, des fake-news et de l’adhésion aveugle aux contenus erronés. Finalement, l’inquiétude de l’École française rejoint ici celle de hooks, qui propose une hypothèse pouvant être commune : si les élèves, à un moment, brisent leur relation désirante et intime au savoir, ils perdent alors leurs facultés critiques face aux contenus erronés. C’est pourquoi bell hooks définit l’esprit par le désir épistémique : sans lui, l’esprit se détache du savoir – peut-être parce qu’il se détache de la recherche de vérité.  

Mais alors, comment cultiver le désir épistémique et le plaisir de la pensée, si cruciaux pour la vitalité de l’esprit critique ?  

Bell hooks ne pouvait imaginer un travail d’éveil de l’esprit critique en dehors d’un cadre dialogique : l’esprit critique est une compétence collective (hooks, 2010 : 9), et non solitaire. Pour elle, le développement de cette puissance intellectuelle exige une pédagogie fondée sur le dialogue, dans une relation partenariale donnant la place à la parole et à la pensée de l’élève. Sa pédagogie est à la fois dialogique (elle s’appuie sur le dialogue) et dialectique (elle constitue dans un mouvement intellectuel de questionnement et de renversement). Mais notons tout de suite ici un écart entre cette exigence d’une pédagogie dialogique et la vision institutionnelle française actuelle. Dans les différents textes que nous avons étudiés, nous n’avons trouvé que trois occurrences de la notion de dialogue dans l’éducation à l’esprit critique. Dans le Rapport N°2021-147, les auteurs évoquent le fait de s’entretenir avec les autres (Abécassis, Mathias, 2021 : 2). Cette évocation ne fait qu’effleurer la question et trahit le fait qu’aucun dispositif formel n’est pensé ou recommandé pour instituer réellement ces moments d’ « entretien ». La fiche Eduscol (2013) signale l’existence des débats réglés et des discussions à visée philosophique, sans détailler. Le rapport du CSEN mentionne la question du dialogue (2021 : 83) au sujet d’une étude menée en 2015 par Philipp C. Abrami et ses collègues qui avaient établi que le dialogue était un ingrédient essentiel du développement de l’esprit critique. Les rapporteurs déconstruisent immédiatement cette recherche pour des raisons méthodologiques et ne reviennent jamais à la question du dialogue. Ayant botté une première fois en touche, ils récidivent quelques pages plus loin : alors, ils traitent de l’idée « d’inviter à débattre et à argumenter, mais en prenant des précautions » (Pasquinelli, Bronner, 2021 : 110). Alors que nos auteurs reconnaissent rapidement « l’intérêt de susciter des situations d’apprentissage où les élèves sont amenés à débattre et à argumenter » (Pasquinelli, Bronner, 2021 : 110), ils freinent immédiatement leur élan en montrant les risques et les dérives inhérents aux débats argumentatifs, qui peuvent déboucher sur la mise en équivalence des différents points de vue. Les élèves seraient tentés, dans les débats, d’argumenter en fonction de leurs préférences et non en fonctions de preuves ou faits scientifiques.  

L’évitement institutionnel du dialogue semble surtout révéler une crainte des risque encourus par l’ouverture d’un espace d’échange – qui paraît difficilement contrôlable si l’on n’est pas guidé par une véritable méthode. Force est de constater qu’il est, en effet, nécessaire d’avoir une méthodologie claire et rigoureuse afin d’animer un débat avec des élèves. En outre, hooks considère qu’il ne s’agit pas seulement de proposer des moments de dialogue – cloisonnés, délimités, contrôlés -, mais de remodeler l’enseignement autour d’une forme dialogique. Ce n’est qu’ainsi que les élèves pourront exercer, au quotidien, leur esprit critique en classe : en effet, l’esprit critique est conçu comme une forme de dialogue - un dialogue par lequel on s’entretient avec soi-même autour d’un énoncé ou d’une situation pour se questionner, pour chercher des preuves, pour examiner sa cohérence, pour examiner son lien avec d’autres connaissances que l’on possède. Si l’esprit critique existe par ce dialogue intérieur, il s’apprend par le dialogue collectif au sein duquel on apprend, ensemble, à dialoguer autour des donnés et des faits. Cette conception hooksienne rejoint ici les convictions de l’Education Nationale, qui rappelle sans cesse que l’esprit critique se travaille avant tout dans les disciplines, au travers de l’acquisition active des savoirs : avec hooks, il s’agit bien de dialoguer tout au long de la journée, au fur et à mesure des variations disciplinaires.  

« En tant qu’enseignants, notre rôle est d’accompagner nos élèves dans l’aventure de l’esprit critique. En apprenant et en dialoguant ensemble, nous nous éloignons de l’idée selon laquelle notre expérience de l’acquisition de savoirs est privée, individualiste et compétitive. En faisant le choix du dialogue et en le cultivant, nous nous engageons ensemble dans un partenariat éducatif » (hooks, 2010 : 43)6  

Face à cette idée de partenariat7 éducatif, une précaution s’impose : certes, la pédagogie dialogique donne une valeur à chacun ; néanmoins, hooks ne considère pas qu’il faille tomber dans un rapport d’horizontalité totale entre enseignants et élèves. Au contraire, il est intègre, selon elle, de reconnaître la dissymétrie du rapport au pouvoir et de faire l’aveu de la réalité objective : l’enseignant a plus de pouvoir, et doit donc être honnête à ce sujet. En outre, hooks considère que l’inégalité des positions n’est pas synonyme de rapport de domination (hooks, 2010 : 114). L’enjeu est donc de développer, au sein de cette relation inégalitaire de pouvoir, une pédagogie dialogique non-dominatrice. Ce principe est essentiel dans le cadre de l’éducation à l’esprit critique : en effet, celle-ci consiste bien à découvrir le fonctionnement cognitif de l’élève, afin de pouvoir développer de nouveaux outils intellectuels. Nous agissons donc sur le fonctionnement cognitif intérieur et individuel (la pensée) de façon profonde et – si j’ose dire – intime : pour que cela soit possible, il est nécessaire d’établir une relation pédagogique partenariale. Le dialogue, en tant que relation intellectuelle partenariale, permet donc de travailler profondément les compétences critiques de l’élève. 

   

2.3. L’esprit critique, vivacité de la pensée, subjectivation chez hooks 

De façon corolaire, bell hooks conçoit l’esprit critique comme une forme de vivacité de la pensée, qu’il s’agit donc de cultiver – dans son élan, son plaisir, sa puissance.  

« Les élèves ne se transforment pas, du jour au lendemain, en penseurs critiques. D’abord, ils doivent apprendre à accueillir la joie et la puissance de la pensée elle-même. La pédagogie engagée est une stratégie d’apprentissage visant à restaurer la volonté de pensée des élèves, ainsi que leur volonté d’être pleinement accomplis. » (hooks, 2010 : 8) 

L’éveil de l’esprit critique ne peut s’insérer et se développer que dans un environnement éducatif qui stimule la faculté de pensée, dans sa diversité, sa globalité et sa puissance, de façon propédeutique : en effet, il ne semble pas souhaitable de scinder l’esprit de l’enfant, en voulant mobiliser une partie de ses facultés (les compétences critiques) et non son fonctionnement global (l’ensemble de ses compétences de pensée). Par conséquent, selon hooks, l’éveil de l’esprit critique ne peut faire sens dans une pédagogie fondée sur l’instruction descendante, magistrale, structurée autour d’un autoritarisme laissant peu de place à la subjectivité de l’élève. Ainsi, l’Éducation Nationale pourrait s’interroger sur ses modalités pédagogiques, afin d’établir si elles sont propices à l’épanouissement intellectuel de l’élève : ce dernier peut-il éprouver, dans son expérience scolaire, la vivacité de sa faculté de pensée ? Comment conjuguer les activités éducatives dédiés au plaisir de la pensée et la pression des programmes scolaires ? Le corpus officiel de l’Education Nationale ne mentionne pas la question du plaisir du sujet pensant. Pour hooks, la réflexion sur l’éducation à l’esprit critique ne peut faire l’économie d’espaces dédiés à l’exploration jouissive des facultés de pensée. Dans cette perspective, deux activités éducatives peuvent être envisagées comme pertinentes.  

En premier lieu, les ateliers de philosophie (en cycles 2, 3, 4), préconisés par l’Education Nationale jusqu’à 2018, proposent une forme pédagogique visant l’exploration du monde philosophique des enfants et adolescents, en s’éloignant de la conception académique présentée au lycée ou à l’Université (Hawken 2019). Dans cette pratique, la philosophie est conçue comme l’exercice de la réflexion conceptuelle, argumentée et problématisante sur l’expérience vécue, au moyen de concepts et de questions universelles de la condition humaine et enfantine. Cette activité pédagogique a été formalisée sous la forme de de la Communauté de Recherche (Lipman, 2008) : l’une des créatrices de ce dispositif, Ann Margaret Sharp, l’a justement formalisé en s’appuyant sur la pédagogie émancipatrice des intellectuelles féministes des 1970, et en particulier sur hooks (Sharp, 2009). 

 

En deuxième lieu, le texte libre (en cycle 3,4) a été conçu, au sein de la méthode Freinet (1947, 1967), comme un moment d’écriture sans contrainte – de forme ou de thème dont l’enjeu est de permettre aux enfants de poser par écrit leurs pensées, leurs expériences et leurs rêves à partir de leur dynamique de vie. Alors que hooks ne s’appuie pas sur les travaux de Freinet, elle recommande la même forme pédagogique (hooks, 2010 : 20).  

 

Le lien intrinsèque entre la culture de la pensée et la culture de l’esprit critique a une importance fondamentale chez hooks : il signifie qu’on ne peut pas, d’un côté, brider la pensée de l’enfant (dans sa force, son expression, sa vivacité) par une pédagogie traditionnelle descendante et, de l’autre, espérer que l’enfant soit capable d’utiliser sa pensée critique à certains moments ponctuels. Lorsqu’on se préoccupe de l’éveil de l’esprit critique, on ne peut faire l’économie d’une réflexion générale sur la place de la pensée du sujet-élève dans la pédagogie car c’est bien de la pensée qu’il s’agit, de la pensée comme un tout : on ne peut la scinder pour en éveiller une partie et pour en amoindrir une autre. La pensée critique ne peut surgir que dans une dynamique cognitive générale, dans laquelle les facultés de pensée s’expriment, s’animent et s’agitent au gré des apprentissages et des activités. 

Cette contradiction me fait penser à la question de la subjectivation chez Freire. Hooks (2010 : 45) le cite en disant qu’ « on ne peut pas entrer dans la lutte en tant qu’objets pour devenir plus tard des sujets »8 . Si l’on entre dans une dynamique ou une relation en étant réifié, réduit au statut d’objet, on ne peut plus, ensuite, s’y construire en tant que sujet. Autrement dit, on ne peut pas, d’un côté, mettre en place un mouvement de réification des enfants et, de l’autre, un mouvement de subjectivation des enfants. Ils ne peuvent être pris entre deux feux, dans leur construction intellectuelle. Or, partant de l’hypothèse que l’esprit critique ne peut surgir pleinement que dans une subjectivité autonome et accomplie, il devient crucial de se questionner, au préalable, sur les conditions de subjectivation de l’enfant, à l’École. Ces deux questions - les conditions d’éveil de la subjectivité et les conditions d’éveil de l’esprit critique – sont liées. Ces questions ne sont pas abordées dans les divers textes du corpus de l’Education Nationale : les enjeux de subjectivation, de bien-être, d’épanouissement, de développement cognitif, ne sont pas abordés en lien avec l’esprit critique.  

 

3. Esprit critique et conscientisation en classe  

3.1. Conscientisation et praxis de l’esprit critique 

Dans la pensée éducative de hooks, héritière de Freire, l’exercice de l’esprit critique est intrinsèquement liée à un mouvement de conscientisation, que nous aurons l’occasion de définir ci-dessous. Mais notons immédiatement qu’avec cette question, nous retrouvons l’idée de praxis. En effet, selon Paulo Freire, la pédagogie n’est ni une technique, ni une méthode : elle est une praxis, c’est-à-dire « une activité de transformation de la réalité sociale qui lie l’action et la réflexion. Enseigner implique d‘articuler une théorie philosophique et une pratique pédagogique » (Pereira, 2018 : 8). Ayant déjà abordé la place du dialogue dans la pédagogie de Freire et hooks, nous pouvons ici apporter une précision, relative à la dimension – cette fois - dialectique : « la dialectique pédagogique met en dialogue les savoirs tirés de l’expérience sociale des élèves et les connaissances scientifiques objectives. La finalité du dialogue est le passage de la conscience immédiate à une conscience critique appuyée sur une connaissance scientifique du monde. Cette conscience critique est sociale car elle vise l’émancipation sociale. » (Pereira, 2018 : 9). Le travail de conscientisation critique se joue dans une interaction entre les savoirs individuels issus de l’expérience sociale et les savoirs scientifiques. Freire – et hooks à sa suite - répondent ici aux attentes épistémologiques des enseignants : il ne s’agit nullement de quitter le monde des savoirs scolaires, mais de le mettre en lien avec le monde individuel des jeunes citoyens, afin de gagner en congruence et de prévenir leur décrochage.  

Paulo Freire définit l’humain comme un être inachevé, incomplet, si bien que la formation des éducateurs participent à ce processus de recherche de complétude. Ce processus est essentiellement éthique, mais aussi politique, dans la mesure où l’individu est un être historiquement situé et soumis aux contraintes de la facticité. La conscientisation désigne alors ce qui apparaît lorsque deux consciences dialoguent et font apparaître la raison d’être des choses. Elle désigne un travail de lecture dialectique du monde, par lequel l’individu s’interrogera sur ses rapports de pensée et d’action avec son environnement social. La conscience révèle donc un sens dont la teinte est politique et dont les trouvailles dévoilent, souvent, les enjeux de pouvoir, d’inégalité et de domination (précisément par que le sens des choses apparaît dans l’étude des relations).  

 

« [La conscientisation], c’est plus que prendre conscience, car prendre conscience est une manière normale de l’être humain. Elle implique d’analyser. C’est une façon de voir le monde de manière rigoureuse ou presque rigoureuse. C’est une façon de voir comment la société fonctionne. C’est un moyen de mieux comprendre le problème des intérêts, la question du pouvoir. (…) Enfin, elle implique une lecture plus approfondie de la réalité et le sens commun étant au-delà du sens commun » (Freire, 1990). 

 

Le travail de conscientisation à l’École ne peut seulement être mené par les élèves : en tant que démarche collective, il concerne également les enseignants. Tant que ces derniers n’ont pas engagé un travail de conscientisation de leur existence (personnelle, sociale, politique) afin d’analyser les relations de pouvoir et de domination qui les entourent, ils ne peuvent s’émanciper de ces rapports et, par suite, éviter de les reproduire (notamment au sein de la classe). La conscientisation des enseignants devrait, en particulier, cibler les préjugés, les présupposés et les biais qui les imprègnent en lien, notamment, avec leur classe sociale (hooks, 2010 : 31). En outre, elle leur permettrait d’accroître la cohérence et l’intégrité de leur posture. En analysant les rapports interindividuels et en ajustant leurs actions en fonction des vérités qu’ils en extraient, ils peuvent accorder leur action enseignante et leur conscience éthique et politique de la réalité. « Lorsque notre comportement est congruent avec nos valeurs établies, lorsque nos idéaux et nos pratiquent concordent, nous acquérons de l’intégrité » (hooks, 2010 : 32). C’est donc le caractère éthique de l’éducation qui exige que l’enseignant soit cohérent, c’est-à-dire, qu’il se soucie de diminuer l’écart entre ce qu’il dit et ce qu’il fait, entre ce qu’il est et semble être. L’espace éducatif – la classe – devient, lui aussi, un « texte » devant être constamment « lu » et interprété, afin de décrypter les rapports sociaux qui s’y construisent. La conscientisation de l’espace social et de l’espace pédagogique deviendrait une condition pour assurer cohérence et intégrité chez l’enseignant, si bien que l’éducation et la formation doivent être essentiellement dialectiques. Les bénéfices de la conscientisation semblent donc majeurs : pourquoi n’est-elle pas abordée par l’Education Nationale ? Nous faisons l’hypothèse qu’elle se confronte au problème de l’inconfort. En effet, lorsqu’on veut mener un travail de conscientisation des rapports de domination, on se heurte souvent à une forme d’inconfort, chez les enseignants et chez les élèves (hooks, 2010 : 85-89). C’est le risque de la « transparence radicale » (hooks, 2010 : 187) : faire face à une forme de résistance à la démarche critique, en raison de la déstabilisation qu’elle engendre (hooks, 2010 : 10 ; Boler, 1999). Néanmoins, ce travail est crucial, pour hooks, et pourra notamment être mené au travers des récits de soi : cette forme permettra de recueillir le savoir social expérientiel des élèves, de donner l’« opportunité de voir et d’entendre chaque voix singulière » (hooks, 2010 : 20) et de mener un travail d’élaboration d’une pensée complexe, consciente, argumentée et problématique sur le vécu. 

 

3.2. Esprit critique, conscientisation, rapports de domination : le cas des médias et de l’information 

 

Nulle part dans les rapports ministériels n’est évoquée la question des rapports de pouvoir ou de domination qui traversent la société. Cette absence révèle ce qui a été laissé dans l’angle mort de cette conception : pour le moins, cette omission est la trace d’une certaine vision politique de l’esprit critique. Face à cet oubli, bell hooks pourrait nous questionner : dans la formation de l’esprit critique, peut-on faire l’impasse sur la question des rapports de force existant sur le plan économique, politique, social ? Si l’on souhaite que les élèves comprennent le monde dans lequel ils vivent, peut-on faire l’impasse sur la question des rapports de domination de classe, de sexe, de race ? 

Le corpus de l’Éducation Nationale mettait un accent fort sur la nécessité d’avoir un rapport d’analyse rigoureux aux médias. Mais aucune mention n’est faite des pouvoirs économiques, politiques, sociaux qui peuvent déterminer la production de l’information. À l’inverse, hooks considère que le dialogue collectif et la conscientisation des rapports de force sont essentiels pour mener une recherche de sens vis-à-vis des médias et de l’information. Elle utilise une formule pour décrire ce travail : dans le dialogue critique sur l’information, il s’agit de « construire l’entre-information » (hooks, 2010 : 44), c’est-à-dire l’information valide que l’on construit « entre nos esprits » à partir de l’information reçue. Cette pratique collective de l’esprit critique serait l’un des remparts nous permettant de nous éloigner du statut de « consommateurs passifs de l’information (hooks, 2010 : 44).  

Dans la vision institutionnelle française, aucune mention n’est faite de la question de l’intérêt financier, alors même qu’il est préconisé de s’informer sur la fiabilité des sources. Pourquoi refuser de se questionner : cette source a-t-elle un intérêt financier à diffuser cette information ? Ce critère n’est pas pris en compte : les élèves ne gagneraient-ils pas à l’appliquer, dans leur appréhension des médias ? Concernant les réseaux sociaux, nous n’avons trouvé aucune trace d’une interrogation sur leurs enjeux économiques, c’est-à-dire sur les profits qu’ils peuvent tirer d’une plateforme mêlant indistinctement les degrés de vérité et de fausseté. Un paragraphe évoque la question du « caractère désintéressé de la source » dans le rapport du Conseil Scientifique de l’Education Nationale (Bronner, Pasquinelli, 2021 : 56) : mais dans le traitement de ce critère, il est indiqué que les élèves doivent chercher à savoir si la source n’a pas « un intérêt privé particulier à faire une affirmation ou à diffuser une information » (Bronner, Pasquinelli, 2021 : 56). Mais cette question est traitée sous la forme d’un euphémisme, qui peut créer une confusion, chez l’élève : on ne dit pas que ces intérêts peuvent être économiques, déterminés par des logiques de profit. Pourquoi cacher ces enjeux financiers alors même qu’ils ont une part importante dans la production de l’information diffusée sur les réseaux sociaux, à la télévision, et même dans la presse ? Comment expliquer ce silence autour des rapports de pouvoir économiques ? Plus avant, comment explique l’absence de considération des rapports de force politiques au sein des médias ? Comment comprendre le fonctionnement des médias sans analyser leurs relations au monde politique ? Alors que bell hooks préconise la nécessité, dans l’éveil à l’esprit critique, d’interroger les rapports de force en présence, nous pouvons constater un refus de les prendre en compte, dans le champ de l’École : comment expliquer cette volonté de présenter la sphère des médias et de l’information comme une sphère autonome, détachée des rapports de force économiques et politiques ?  

 

3.3. Esprit critique, conscientisation, culture dominante, décolonisation des savoirs. 

 

L’un des enjeux de la pédagogie dialogique et dialectique critique est de parvenir à se déplacer hors de sa sphère de pensée afin d’en découvrir d’autres : ce mouvement de distanciation est particulièrement important en ce qui concerne la culture, dominante ou non, à laquelle nous sommes confrontés, afin de saisir les influences qui nous déterminent. Les enjeux de cette distanciation culturelle sont multiples pour hooks, au sein de l’éveil de l’esprit critique 

Tout d’abord, hooks la conçoit comme une opportunité pour exercer une forme d’empathie intellectuelle, afin de découvrir « la façon dont on habite différents mondes » (hooks, 2010 : 38). En s’appuyant sur les travaux de Freire (2013), elle rappelle que « lorsque nous nous éloignons des contraintes de notre vie quotidienne ordinaire et entrons dans d’autres espaces et points de vue culturels, nous devons toujours “répondre honnêtement” aux questions qui empêche souvent l’émergence d’une compréhension mutuelle » (hooks, 2010 : 39). Le déplacement d’une sphère culturelle à l’autre permet de prendre du champ par rapport aux contenus (énoncés, convictions, préjugés, etc.) qui nous imprègnent : ce travail de déplacement intérieur, qui relève à la fois d’une forme d’imagination, d’empathie, de solidarité et de fraternité n’est pas abordé par le corpus institutionnel français. Sur ce point, un écart existe donc : les facultés cognitives de l’imagination et de l’empathie sont cruciales dans l’apprentissage de l’esprit critique, car elles nous permettent de cultiver la possibilité d’un mouvement intérieur, d’un arrachement de soi à soi. Hooks consacre un chapitre entier (le onzième) à l’imagination dans l’éveil de l’esprit critique, ce qui montre à quel point cette faculté consistant à envisager d’autres mondes possibles permet de prendre un recul critique sur les différents mondes dans lesquels chacun est enfermé. Il s’agit moins de prendre directement une distance avec ses propres idées (de les abandonner, de les rejeter : cela peut être difficile à vivre pour un élève – surtout si cela répond à la demande d’un enseignant) que de faire un détour vers d’autres idées afin que, par elle et subrepticement, on prenne conscience l’existence et de la teneur d’autres points de vue. Pour les élèves, le détour (vers l’autre) est peut-être moins douloureux que l’abandon (de soi).  

Le deuxième enjeu de la distanciation critique nous permet de retrouver la question de la conscientisation des rapports de pouvoir : il s’agit de discerner les enjeux de pouvoir et de domination entre différentes cultures, dans un territoire donné. Ainsi, pour hooks, un enseignant se doit de mener ce travail, afin d’être conscient de la place, des enjeux et de l’impact de la culture dominante dans les apprentissages. Pour cela, la forme dialogique est encore une fois préconisée : « c’est au travers du dialogue que nous luttons le mieux pour acquérir une compréhension claire de la culture dominante (…) Nous fournissons un effort constant afin de maintenir une conscience critique à propos de ce que nous faisons » (hooks, 2010 : 38).  

Le travail de conscientisation de l’esprit critique se trouve lié, pour l’intellectuelle américaine, à un mouvement de décolonisation de la pensée. Elle souhaite « redresser les préjugés qui ont modelé les façons d’enseigner et de connaître dans notre société, depuis l’ouverture de la première école public » (hooks, 2010 ; 23).  Selon hooks, la culture dominante, celle du patriarcat capitaliste blanc et impérialiste, imprègne l’esprit des enseignants et des élèves : elle fait le diagnostic d’un racisme et d’un sexisme intériorisés, ainsi que d’un mépris des cultures non-dominantes. À l’École, l’idée que la culture n’appartient qu’aux dominants serait bel et bien présente, de façon plus ou moins souterraine. Hooks souhaite une « insurrection des savoirs assujettis » (hooks, 2010 : 83). Bien que son analyse porte sur le territoire des Etats-Unis, elle considère que ce travail d’identification de la culture dominante et de ses présupposés mérite d’être mené dans tous les territoires. C’est crucial car l’esprit critique lui-même est irrigué par ces enjeux de domination : ainsi, la décolonisation de l’esprit critique consiste « à dépasser nos conceptions liées aux haines et aux blessures personnelles afin d’observer les systèmes de domination, ainsi que l’interdépendance de leurs fonctionnements » (hooks, 2010 : 25). L’un de ces systèmes serait donc le système scolaire : ainsi, à l’École, la décolonisation des apprentissages pourrait s’effectuer par diverses démarches (certaines sont proposées par hooks, d’autres sont des hypothèses de notre part) :  

 

  • Réinterroger les programmes scolaires en se questionnant sur les contenus pouvant véhiculer une pensée coloniale de domination (notamment en histoire et géographie).
     

  • Prêter une attention aiguë aux supports utilisés en classe, tout au long de la scolarité : littérature, cinéma, œuvres d’art, images. Ou plus avant, proposer une approche critique de ces supports, si nécessaire.
     

  • Montrer une vigilance concernant les archives : hooks montre que l’invisibilisation des individus et des peuples n’appartenant pas à la classe dominante se cultive par le fait que non seulement ils éprouvent des difficultés à rendre leurs travaux publics mais qu’en plus, ils n’étaient ensuite pas archivés correctement (ou pas archivés du tout) (hooks, 2010 : 173). Cet élément devrait faire partie des processus de l’esprit critique, dans la mesure où il appréhende des connaissances qui sont le fruit d’une histoire marquée par des mouvements de domination.  
     

  • Analyser le lien entre culture dominante, forme scolaire et rationalité formelle : en nous appuyant sur les travaux d’Irène Pereira sur la pédagogie critique (2018), nous sommes conduits à nous questionner sur la forme scolaire, c’est-à-dire sur la façon dont les relations d’apprentissage et d’enseignement sont structurées dans le temps, l’espace, l’organisation, de façon distincte de la vie ordinaire et quotidienne (Vincent, 2008). Celle-ci  peut être perçue comme un vecteur de reproduction des inégalités scolaires. Irène Pereira met en lien la pensée coloniale dominante et la forme scolaire de la rationalité formelle. Or, cette dernière est le produit d’une histoire scolaire spécifique, au cours de laquelle les disciplines se sont formalisées selon une certaine modalité pédagogique. La prééminence de l’exercice de la rationalité formelle se retrouve dans l’approche institutionnelle de l’esprit critique : elle vise le « développement, en chaque élève, d’un esprit rationnel, autonome et éclairé » (Bronner, Pasquinelli, 2021 : 64) « la « reconnaissance d’une légitimité rationnelle » des énoncés (Eduscol, 2013), l’ « examen rationnel des arguments et de leurs enjeux » (Attali, Bidar, Caroti et Coutouly, 2019 : 15) et le choix de l’ « hypothèse explicative la plus rationnelle » (Attali, Bidar, Caroti, Coutouly, 2019 : 66). Bien que la place de la rationalité soit incontestablement essentielle, on peut s’interroger sur l’absence totale de visée concernant les possibles dimensions normative, affective, politique de l’esprit critique. « En classe, ce qu’il y a de plus excitant dans l’exercice de l’esprit critique, c’est que l’on appelle chacun à prendre l’initiative, à penser, passionnément, et à partager les idées de façon ouverte et passionnée » (hooks, 2010 : 11). Une tension apparaît ici entre le courant de la pédagogie critique – revendiquant la valeur épistémologique des affects - et les textes institutionnels de notre École – qui semblent réaffirmer une tradition philosophique française cartésienne et bachelardienne (Eduscol, 2013 : 2).   

 

L’un des exemples typiques de la prédominance de la forme scolaire rationnelle est le rejet du recours aux récits d’expérience dans le monde académique (hooks, 2010 : 49) – rejet qui se fonde sur l’idée que ces récits sont dépourvus de validité rationnelle et générale et trop éloignés du registre formel universaliste et dépersonnalisé habituellement préconisé. Nous terminerons donc par l’analyse de cette forme pédagogique à laquelle hooks attache beaucoup d’importance, dans la perspective de l’éveil d’un esprit critique conscientisé.  

 

Conclusion : Quel éclairage de bell hooks pour approfondir, compléter et clarifier l’activité épistémologique de l’esprit critique à l’École ? 

Partant d’une conception de l’esprit critique centrée sur une activité épistémologique de l’esprit – conception défendue notamment par l’Education Nationale- , nous avons souhaité nous demander : dans quelle mesure l’approche hooksienne, qui s’appuyait elle aussi, tout d’abord, sur une cette dimension épistémologique, pouvait-elle questionner et éclairer cette vision ? Notre analyse a permis de mettre en lumière plusieurs questionnements pertinents.  

Premièrement, si l’éveil de l’esprit critique s’appuie sur un travail de la pensée, n’est-il pas nécessaire de stimuler la faculté de pensée de façon totale, jouissive et subjective, en donnant une place à la subjectivité de l’élève pensant ?  Afin d’éveiller l’esprit critique, doit-on donner une place à la pensée et à la subjectivité de l’élève ? Et surtout, l’esprit critique, dans son exercice, doit-il être structuré non seulement par la vérité mais également par la recherche de valeurs telles que le bien ou la justice sociale ?  

Deuxièmement, si cet éveil vise l’examen rigoureux des contenus et des informations visant les preuves, les faits, les sources, ce travail peut-il décemment se passer de l’analyse des enjeux politiques, économiques et financiers qui les déterminent ? Comment comprendre l’évitement institutionnel français de la question des enjeux économiques ? 

Troisièmement, l’éveil de l’esprit critique est-il suffisant s’il n’est pas être à une démarche de conscientisation, chez l’adulte et chez l’élève, afin d’accroître la cohérence de la relation pédagogique ? Dans l’exercice de l’esprit critique, les savoirs scientifiques gagneraient-ils à être abordés en lien avec les savoirs individuels issus de l’expérience sociale ? Cette association permettrait-elle de mieux comprendre, de façon critique, les rapports de pouvoir et de domination qui irrigent l’environnement des élèves ? Au fond, la conception de l’esprit critique, dans l’institutionnelle scolaire française, n’est-elle pas irriguée par une culture scolaire dominante structurée autour d’une forme scolaire rationaliste qui se manifeste notamment dans la prééminence de la dimension épistémologique de cette vision de l’esprit critique ?  

Ces questionnements, qui ont surgi grâce à l’analyse des travaux de bell hooks, semblent nous indiquer des angles (morts, inaperçus ou cachés) qui pourraient être explorés par le monde éducatif français. 


 

Références 

 

Attali, G., Bidar, A., Caroti, D. et Coutouly, R. (2019). L’esprit critique. Outils et méthodes pour le Second degré. CANOPÉ. 

 

Abrami, P. C., Bernard, R. M., Borokhovski, E., Waddington, D. I., Wade, C. 

A., & Persson, T. (2015). Strategies for teaching students to think critically: Ameta-analysis. Review of Educational Research, 85(2), 275-314. 

 

Boler, M. (1999), Feeling Power: Education and Emotions.  

 

Bronner, G., Pasquinelli, E. (2020). Éduquer à l’esprit critique. Bases théoriques et indications pratiques pour l’enseignement et la formation, Rapport du Conseil scientifique de l’Éducation Nationale. 

 

De Vecchi, G. (2014). Former l’esprit critique. Pour une pensée libre. ESF. 

 

Freire, P. (1967). L’éducation : pratique de la liberté. Éditions du Cerf. 

 

Freire, P. (1990). Conversa com A.C. Torres. Dans Torres, A.C. (1998), A pedagogia Politica de Paulo Freire. Porto Editora, pp. 47-67. 


Freire, P. (2013).
Pédagogie de l’autonomie. Éditions Erès. 

 

Freire, P. (2021). Pédagogie des opprimés. trad. fr. E. Dupau. Agone. 

 

Hawken, J. (2019), 1,2,3, Pensez ! Philosophons les enfants !. Chronique Sociale. 

 

Hooks, B. (1994). Teaching to transgress : Education as the Practice of Freedom. Routledge. 

 

Hooks, B. (2004). Teaching community : A Pedagogy of Hope. Routledge. 

 

Hooks, B. (2015), Ne suis-je pas une femme ? Femmes noires et féminisme. Cambourakis.  

 

Hooks, B. (2010). Teaching Critical Thinking. Practical Wisdom. Routledge.  

 

Lipman, M. (2008). À l’école de la pensée. trad. fr. N. Decostre, De Boeck, 2nd édition. 

 

Origgi, G. (2009). Confiance, autorité et responsabilité épistémique. Pour une généalogie de la confiance raisonnée. Variations sur la confiance. Concepts et enjeux au sein des théories de la gouvernance, 23-36. 

 

Pereira, I. (2018). Philosophie critique en éducation. Lambert-Lucas. 

 

Sharp, A. ; Gregory, M. R. (2009). « Towards a feminist philosophy of education », Thinking : The Journal of Philosophy for Children, 19(2 / 3), p. 87-96.  

 

Vincent, G. (2008) « La socialisation démocratique contre la forme scolaire », Revue éducation et francophonie, volume XXXVI : 2, 47-62. h 

Notes
[←1

 L’éducation de l’esprit critique fait partie des compétences communes aux différentes disciplines en lien avec le référentiel des compétences et vise donc à être prise en charge par les disciplines de l’histoire, de l’éducation civique, du français et des sciences. 

[←2

 Les minuscules correspondent ici l’usage souhaité par bell hooks.  

[←3

 https://www.education.gouv.fr/developpement-de-l-esprit-critique-chez-les-eleves-341106 

[←4

 En langue grecque, le terme krinein désigne le fait de trier, de séparer, de couper, c’est-à-dire de distinguer les choses et de trancher entre elles. 

[←5

 Voir : Référentiel des Compétences professionnelles des métiers du professorat et de l’éducation, Bulletin officiel n°30 du 25 juillet 2013  

[←6

 L’ouvrage de hooks n’étant pas encore traduit, je vous propose mes traductions, tout au long de cet article. 

[←7

 Le terme original, partnership, désigne en anglais le fait que plusieurs individus passent un accord afin de travailler ensemble, en concertation. 

[←8

 Cette citation est issue d’une conversation entre hooks et Freire.  

Annuel de la recherche en philosophie de l’éducation ISSN 2779-5292