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jeudi 29 février 2024

Pour citer ce texte : VIAN, T. (2024). La spécialité « humanités, littérature et philosophie » au lycée : figures cohérentes ou conceptions paradoxales de l’humain ? Annuel de la Recherche en Philosophie de l’Education , 4 ,
[https://www.sofphied.org/annuel-de-la-recherche-en-philosophie-de-l-education/arphe-2023/dossier/article/la-specialite-humanites-litterature-et-philosophie-au-lycee-figures-coherentes]

La spécialité « humanités, littérature et philosophie » au lycée : figures cohérentes ou conceptions paradoxales de l’humain ? 

 

Thibault Vian 
Université Paris-VIII, Experice 

 

 

 

Résumé L’enseignement de la spécialité HLP est entré en vigueur lors de la rentrée 2019 en classe de première, puis en terminale l’année suivante, dans le cadre de la réforme du lycée du ministre Blanquer. La finalité de cet article consiste à montrer que cette spécialité n’a pas seulement, pour unique horizon, la formation (au sens de la Bildung) de l'homme lettré, amoureux des livres et des mots, mais qu’elle embrasse une conception substantiellement plus large, non seulement de la culture générale (enkuklios paideia) qu’elle permet d’enrichir, mais aussi des multiples dimensions de l'humain. Quelles sont, dès lors, les différentes conceptions de l’humain qui se confrontent ou au contraire, mutuellement se répondent à travers l’enseignement de la HLP au lycée ? Dans quelles traditions de la philosophie de l'éducation cette spécialité s’inscrit-elle et quels avenirs de l’humanité, y compris dans ses aspects scientifiques et techniques, permet-elle de penser ? 

 

Mots-clés
humanités, littérature, philosophie, lycée, culture générale
 

 

 

Abstract :  The teaching of the HLP (humanities) speciality came into force at the start of the 2019 academic year in the première class, then in the terminale the following year, as part of Minister Blanquer's reform of the lycée. The purpose of this article is to show that the HLP speciality is not just about the education (in the sense of Bildung) of the literate man, the lover of books and words. It embraces a substantially broader concept, not only of general culture (enkuklios paideia), which it helps to enrich, but also of the many dimensions of the human being. What, then, are the different conceptions of the human that confront or, on the contrary, mutually respond to each other through the teaching of HLP at lycée? What traditions of philosophy of education does this specialism fit into, and what futures for humanity does it enable us to think about along the way? 

 

Keywords
humanities, literature, philosophy, high school, general culture
 

 

 

 

Introduction  

 

La contribution défend l’idée selon laquelle la spécialité « Humanités, littérature et philosophie » ne serait pas une option pluridisciplinaire mais constituerait une discipline unifiée, qui s’enracinerait dans l’origine commune de la philosophie et de la littérature. Le préambule du programme de la spécialité HLP défini dans le Bulletin Officiel spécial n°8 du 25 juillet 2019, précise : « L’enseignement de spécialité d’humanités, littérature et philosophie vise à procurer aux élèves de première et de terminale une solide formation générale dans le domaine des lettres, de la philosophie et des sciences humaines. »  

 

Le rapprochement des studia humanitatis avec les lettres et la philosophie, réunit dans un même enseignement deux disciplines (en plus des « sciences humaines ») considérées dans l’enseignement secondaire contemporain comme littéraires, tout particulièrement en raison de la place des œuvres et des grands auteurs : la spécialité HLP remplace en première analyse la filière L (littéraire) de l’ancien lycée. Cette substitution semble exclure a priori les relations entre sciences formelles voire expérimentales et philosophie. En effet, selon les chiffres communiqués par la DEPP, le service statistique du ministère de l’Education nationale, pour la rentrée 2022, il se trouve que 40607 des élèves de terminale, dont 80% de filles, ont choisi cette spécialité, ce qui représente 10,7% par rapport à l’ensemble des spécialités proposées. Or la terminale littéraire représentait environ 10.4% des élèves de la voie générale à la rentrée 2019, dont 79.1% de filles1 . Il en résulte que sur le plan quantitatif, la spécialité HLP vient remplacer l’ancienne filière littéraire, avec l’importance donnée à la philosophie (8h par semaine) et à la littérature. Nous serons néanmoins amenés à repenser, dans le cadre du nouveau lycée, le lien primordial entre la philosophie et la littérature, afin de mettre en lumière le caractère matriciel de la spécialité HLP. 

 

Historiquement, ces disciplines correspondent peu ou prou aux trois dernières classes des établissements napoléoniens : la classe d’humanités, actuelle seconde ; la classe de rhétorique, actuelle première (le programme de première débute justement par l’art de la parole) ; enfin la classe de philosophie, actuelle terminale (Ferté & Trochu, 2019, pp. 85-86)2 . Au-delà de l’idéal aristotélicien de l’homme universellement cultivé, la spécialité HLP s’ouvre aussi dans le programme de première aux représentations du monde, humanités et révolutions scientifiques, et dans celui de terminale aux philosophies de la violence, humaine, trop humaine, autant qu’aux « limites de l’humain », questionnant la triple possibilité du surhumain, du transhumain et du posthumain (Hottois, 2013, p. 154)3 . Outre les programmes officiels, le statut de « spécialité » conféré à la nouvelle HLP en concurrence avec d’autres spécialités que les élèves choisissent, interroge la place de sa dimension non pas seulement intellectuelle et livresque, mais aussi pratique voire professionnelle. Or les thématiques telles que le langage et la parole, « éducation, transmission, émancipation », orientent vers des parcours universitaires autour des sciences politiques, du langage ou de l’éducation, puis professionnels comme les métiers d’avocat, de professeur4 . En outre, le chapitre « ruptures et continuités » rend possible une approche autant artistique que scientifique, épistémologique (en particulier kuhnienne). Il s’agit de savoir s’orienter dans la pensée autant que dans son propre avenir, parcourant le monde de la vie, notamment celui des humains. La question porte sur le statut philosophique de cette humanité. Est-il possible, dès lors, d’en dégager une certaine cohérence, par exemple une conception humaniste qu’il nous faudra préciser, ou bien la spécialité offre-t-elle des peintures équivoques et parfois irréconciliables de l’humain ? 

 

Le but de cet article consiste à montrer que la spécialité HLP n’est pas la digne remplaçante de l’ancienne filière L (littéraire) en France ; plus qu’une mise en relation substantielle entre les lettres et la philosophie, qu’elle rend néanmoins possible, elle relève dans son programme comme dans ses finalités d’une discipline à part entière, susceptible d’apporter un éclairage et de susciter un recul sur toutes les autres. Nous interrogerons notamment sur ce point la position de Nicolas Franck (2019) : « la contradiction constitutive d’HLP : il est impossible au lycée de maintenir un enseignement disciplinaire dans un cadre qui cherche à fusionner les disciplines ». La thèse selon laquelle il y aurait d’un côté le caractère indissociable de la littérature et de la philosophie, et d’un autre côté, le caractère matriciel de cette discipline unique que constituerait leur lien primordial, est l’objet d’une controverse, dans la mesure où cette indépendance de la spécialité HLP par rapport à l’enseignement des lettres et de la philosophie dans le tronc commun peut, à cet égard, aboutir à une fusion de la littérature et de la philosophie. C’est la crainte de Nicolas Franck. En effet, une telle spécialité, qui a valeur d’option, pourrait, à terme, englober sous une seule discipline le pôle littéraire de l’enseignement au lycée, jusqu’à venir remplacer l’enseignement commun des lettres en classe de première et de la philosophie en terminale. La question centrale devient alors celle de la valeur de la philosophie seule ou de la littérature seule : la spécialité HLP entendue comme hybridation des deux disciplines, ne revient-elle pas à un cours de culture générale, qui porterait le risque de « vider » chacune des deux disciplines de ses contenus ? C’est pourquoi il s’agit de penser, chemin faisant, la contradiction entre la finalité dévolue aux humanités au lycée et leur statut de spécialité, en concurrence avec d’autres options offertes et dont le choix stratégique joue un rôle, parfois crucial, dans l’orientation des élèves, via la plateforme Parcoursup qui les conduit à émettre des vœux de poursuite d’étude dans l’enseignement supérieur. 

 

 

Le sens de l’illimité : l’enseignement de la spécialité HLP ou l’idéal de l’homme universellement cultivé 

 

Dans la préface à L’éducation de l’homme moderne, Eugenio Garin, historien et philosophe italien connu pour ses travaux sur la Renaissance, précise le statut des humanités au XIXe siècle ; nous mobilisons cette référence pour mettre en perspective ce statut des humanités avec le programme de la spécialité HLP du nouveau lycée. L’auteur témoigne, à la onzième page : « Voici ce qu’écrivait Charles de Rémusat de ses sept années de lycée parisien : « Quand je suis sorti (en 1814) […] je ne savais bien que la langue latine, assez bien les éléments de la langue française, et les règles du style et du goût. » […] « À ces humanités il ne faut rien ajouter, je n’entendis parler ni d’histoire, ni de géographie, ni de mathématiques. » […] L’enseignement des humanistes était devenu celui des humanités ». Cette conception des humanités confère toute sa place à la rhétorique, au style et au bon goût, sans que la philosophie d’un côté, et la littérature de l’autre, ne soient réductibles ni à l’art rhétorique ni à l’esthétique. L’actuel programme de HLP n’est pas sans rappeler, en première, celui de la classe de rhétorique d’avant la bifurcation (Belhoste, 1990, p. 371)5 de l’année 1902 ; il débute d’ailleurs par la période de l’antiquité et par la question de l’art oratoire, clairement intitulée : « Les pouvoirs de la parole ». En questionnant ces pouvoirs, l’enseignement permet d’ancrer la réflexion dans une perspective largement critique. Rapporté à une période historique déterminée, le programme de cette première séquence invite, pour reprendre la sublime expression de Nietzsche, à « s’enflammer pour la lointaine antiquité ». Sans réhabiliter les cours de rhétorique, c’est en tant que responsable de la spécialité HLP au lycée franco-mexicain entre 2020 et 2022 puis au lycée français de Pereira en Colombie à compter de 2023, qu’un atelier rhétorique de simulation globale a été organisé tout au long de l’année. Cet atelier d’écriture d’abord, d’expression orale ensuite, vise, à partir de l’analyse critique de textes portant sur l’art oratoire, la réalisation de plaidoiries sur des thématiques contemporaines, ainsi qu’un concours d’éloquence inter-lycées, intitulé : Tenir Parole.  S’exprime une part importante de théâtralisation, de mise en scène autour d’une table ronde avec les élèves de première et de terminale HLP.  

 

Le couple de notions qui sous-tend, d’un point de vue philosophique, la spécialité HLP et les activités qui s’y rapportent, est exposé à la cinquante-et-unième page du livre d’Eugenio Garin : « Ratio et oratio sont étroitement soudés, constituent l’humanité même dans ce qu’elle a de particulier et soulignent le caractère social de cette humanité. » La relation intime, intellectuelle aussi, entre le raisonnement et le discours – discours qui n’est pas seulement la parure ou l’auréole gracieuse d’une argumentation solide, fondée en raison – permet de réfléchir au lien disciplinaire entre les lettres et la philosophie. La spécialité HLP pense la notion de ratio, objet de la philosophie, avec celle d’oratio, objet privilégié des lettres, sans réduire la philosophie à l’étude de la rationalité et l’exclure comme objet de la littérature, ni réduire la littérature à l’étude de l’oratio et exclure l’oratio de l’écriture philosophique. Littérature et philosophie apparaissent ainsi comme les petites filles des humanités, non pas seulement des approches mais ce qui, en l’humanité, nous unit et nous rapproche. Elles constituent l’unité classique qui a valeur, également, d’unité des hommes dans la connaissance.  

 

En écho à cette analyse, Victor Duruy montre, en 1863, que l’enseignement secondaire a essentiellement pour rôle de « faire des hommes, et non pas seulement des bacheliers ». Il s’agit dès lors, par l’enseignement substantiel des humanités, de se ressourcer aux classiques, avec une solide éducation livresque6 , voire encyclopédique, qui renvoie à l’Eruditio des latins. Afin de poursuivre la réflexion d’Eugenio Garin à cet égard, il convient de souligner que : « Les poètes, les grands auteurs, en exprimant pour nous de manière parfaite leur humanité, nous aident à trouver la nôtre, à découvrir joies et peines » (page 79). Notre humanité désigne cela même qui définit la part la plus intime de chacun d’entre nous, toujours en recherche, et ce que nous avons précisément en partage avec tous les humains sans nulle exception. Quelle est, partant, la finalité première de la spécialité HLP et plus généralement de toute instruction exigeante ? Eugenio Garin répond de la manière suivante : « Exercer le métier d’homme dans une communauté universelle » (page 86). S’acheminer dans les cycles de la culture générale, au sens d’une quête toujours ouverte et indéfinie, c’est parcourir un univers ouvert à l’exploration, à la dimension « monumentale7  » pour reprendre le mot de D. Kambouchner au Colloque de la Sofphied, à Bordeaux, du 14 au 16 juin 2023. Converser avec les classiques, c’est tracer une ligne de crête entre les monuments de la culture humaine, qui n’est pas qu’occidentale, en tant qu’elle s’étend aux œuvres mondiales qui relèvent en nous, de manière durable, une part sensible ou intelligible de notre humanité. Pour citer une dernière fois L’éducation de l’homme moderne d’Eugenio Garin, il s’agit de faire « colloque avec les héros de l’humanité retrouvés dans leurs œuvres qui les font revivre pour nous » (page 88). 

 

Or, pour s’appuyer sur une référence institutionnelle, à la lecture du Bulletin Officiel spécial n°8 du 25 juillet 2019, l’on retrouve peu ou prou la finalité dévolue aux humanités telle qu’elle est défendue par Eugenio Garin : « Réunissant des disciplines à la fois différentes et fortement liées, il [le programme de HLP] leur propose une approche nouvelle de grandes questions de culture et une initiation à une réflexion personnelle sur ces questions, nourrie par la rencontre et la fréquentation d’œuvres d’intérêt majeur. » Le voyage dans l’univers illimité des grandes œuvres dessine une perspective sub specie aeternitatis des humanités, considérées comme un approfondissement des lettres et de la philosophie, parcourant ce que Denis Kambouchner (2000) appelle un « jardin de culture » susceptible de faire fleurir une abondante moisson d’œuvres et d’idées. La question reste alors de savoir comment penser la spécialité HLP non plus comme un pont intellectuel entre deux disciplines caractéristiques de l’année de première (les lettres) et de l’année de terminale (la philosophie) mais comme une discipline à part entière, qui dépeint l’humanité certes dans sa perspective sub specie aeternitatis, mais aussi, et surtout, en situation : située dans l’expérience humaine d’une époque déterminée. 

 

 

Le sens de l’histoire et la conscience critique 

 

Un deuxième aspect du problème invite à penser l’originalité de la discipline HLP, par contraste avec la philosophie enseignée en tronc commun, dans la mesure où la spécialité « Humanités, philosophie et littérature » s’appuie sur des périodes de référence, des époques précises8 . Son programme n’est pas une simple juxtaposition de notions, articulées à des perspectives, comme celui de philosophie. En référence au Bulletin officiel spécial n°8 du 25 juillet 2019, déjà cité, qui précise les modalités de l’enseignement de la discipline HLP, l’on retient que : « cet ancrage historique [des problèmes philosophiques] ne doit pas exclure d’autres approches. Notamment, les problématiques développées au cours de la période contemporaine peuvent être comparées avec des problématiques plus anciennes. Cette comparaison, pratiquée à travers l’étude d’œuvres et de textes significatifs (œuvres littéraires, artistiques, philosophiques – œuvres intégrales ou extraits), permet aux élèves tout à la fois de développer leur conscience historique, d’affiner leur jugement critique et d’enrichir leur approche des grands problèmes d’aujourd’hui. » Il est remarquable de retrouver, en dernière phrase, le telos qu’Eugenio Garin attribue lui aussi aux humanités. L’auteur insiste en effet sur le double recul historique et critique qui rend possible une progressive éducation du jugement, avec l’ouverture vers ce que l’humain a de multiple à travers des époques distinctes et différentes cultures : l’élève va chemin faisant « acquérir toujours davantage une conscience historique et une conscience critique, devenir capable de jauger soi-même et de jauger autrui, embrasser les vastes dimensions du monde des hommes et de son développement, comprendre que l’humanité constitue une société à la fois multiple et unitaire, progressant dans un effort qui se prolonge dans le temps, et triomphe de l’espace » (page 95). Intéressante proximité, à des années de distance, entre les analyses d’Eugenio Garin et les textes officiels qui régissent, désormais, l’enseignement de la spécialité HLP.  

 

C’est dans cette dynamique que l’équipe pédagogique du lycée franco-mexicain puis du lycée français de Pereira en Colombie, a mis en œuvre des ateliers d’écriture à partir de l’étude de l’œuvre complète d’Émile, ou de l’éducation. Les élèves ont proposé une interprétation contemporaine puis une réécriture du livre de Rousseau, en s’inspirant du style et de la structure de l’auteur des Rêveries, mais en inscrivant les réflexions autour de l’éducation négative, des vertus de la nature et des vices de la société, sur le registre de la pensée contemporaine, à partir des problématiques de notre monde incertain. Ainsi, plusieurs générations d’élèves, nourries de nombreuses semaines de réflexions, de questionnements, de tâtonnements, ont accouché de trois ouvrages collectifs : Héloïse, ou de l’éducation au cours de l’année scolaire 2020-2021, sur la dimension écologique de l’éducation par le voyage de l’héroïne, inspirée d’un autre livre de Rousseau ; Gaël, ou de l’éducation au cours de l’année scolaire 2021-2022 qui réfléchit aux enjeux d’une éducation non-binaire à travers un protagoniste Gaël/Gaëlle qui ne se reconnaît dans aucun genre socialement établi ; Oriana, ou de l’éducation au cours de l’année scolaire 2023-2024 qui pense l’éducation pansexuelle de la jeune élève au cours de ses péripéties, lesquelles la mèneront à la solitude puis au trépas. En ce sens, la discipline HLP donne, à travers ses contenus et ses méthodes, une certaine importance au livre9 , à la lecture autant qu’à l’écriture qu’elle inspire, mais la culture générale qu’elle transmet est liée à son contexte d’émergence. Elle s’appuie, dès lors, sur les singularités d’une période tout en reliant certaines problématiques aux caractéristiques de notre époque.  

 

Cette humanité en situation permet de repenser la question de l’universel abordée dans notre premier axe d’analyse. En effet, pour le dire dans les mots de Didier Moreau : « Comment se vit cette universalité ? Elle se fonde sur un universel dont l’épine dorsale est la raison mais dont la chair est l’expérience humaine… L’universel n’est pas d’essence, mais de situation et de destination. » Or, parler de la chair – sensible – de l’expérience humaine, c’est faire référence non pas aux concepts figés d’un certain rationalisme philosophique, mais à la singularité des situations vécues par des êtres dont l’humanité se révèle dans la nudité même du visage. Remarquons, à cet effet, que les notions étudiées dans le programme de HLP portent notamment sur les expressions de la sensibilité, la question de l’animal et du statut de sa souffrance, les métamorphoses du moi, avec une part expérientielle, en tous cas bien plus sensible que dans le programme de philosophie du tronc commun de la classe terminale. Elle-même marginale, la discipline HLP pense des notions et des perspectives à la marge. Or, à quoi précisément s’articule cette universalité de l’humain ? Didier Moreau, de répondre : « Elle s’articule grâce au langage [Oratio, (nous ajoutons)] et à la rationalité [Ratio, (nous ajoutons)] qui la structure ». Cette structure s’établit autour de l’idée de vie commune. L’on retrouve les deux notions nodales de la littérature et de la philosophie, respectivement. La culture générale transmise par la spécialité HLP s’adresse à la raison des élèves, mais aussi à leur corps et à leur cœur en tant que dimension de la sensibilité humaine. Sans réduire la littérature au sensuel et la philosophie, corrélativement, au spirituel, c’est plus particulièrement les lettres qui offrent la dimension charnelle de cet enseignement, par des personnages qui souffrent, de la violence sociale par exemple, dans Les Misérables de Victor Hugo ou de la sensibilité amoureuse, chez le personnage de Coelio dans Les Caprices de Marianne d’Alfred de Musset. Mais si l’on considère Émile, ou de l’éducation, Rousseau passe par une narration de nature romanesque pour écrire un traité d’éducation, ce qui montre le caractère complexe du lien entre philosophie et littérature, qu’on ne saurait penser sous la seule forme de l’idée accompagnée de son illustration. Par cette exigence, la dimension philosophique du programme de HLP se veut également moins conceptuellement rigide que les notions de l’enseignement de tronc commun, au sens où elle s’adresse davantage au cœur affligé, part sensible de l’être humain10 .  

 

Dans son livre De l’esprit de l’humanité, Humboldt interroge, au sujet de la Bildung : quel type d’œuvre peut permettre au concept d’homme de se déployer ? Il mobilise deux métaphores : le Grand style, qui désigne l’énergie vive des créations les plus éminentes, porte « le sceau de la Grande humanité », pour reconnaître les individus qui donnent le concept de plus élevé de l’humanité accomplie. Ce Grand style « communique une force vivante, l’invention, suscite l’enthousiasme. L’œuvre de Grand style survit à son auteur parce qu’elle communique l’étincelle d’énergie à ceux qui la rencontrent. Cette transmission, Humboldt la nomme Esprit. » (Moreau, 2010). Elle est liée à l’âme et désigne la vie même des humanités. Dans cette optique, l’approche historique de l’enseignement de la spécialité HLP peut, dans sa dynamique, emprunter au Grand style conceptualisé par Humboldt, où la culture humaine n’est pas uniquement le voyage dans un univers mais la force vivante qui en permet le mouvement. Le professeur passionné incarne cette énergie vive qui en permet la transmission, c’est-à-dire l’Esprit, pour reprendre la terminologie de l’auteur. En conséquence, il ne s’agit pas, comme le soutient Nicolas Franck (2019) de « fusionner les disciplines », à savoir les lettres et la philosophie, dans une spécialité transversale ; la HLP est en quelque sorte l’impetus des humanités, c’est-à-dire une discipline à part entière qui nourrit cet Esprit à travers le Grand style. Elle ne saurait donc prendre ni la place des lettres, ni celle de la philosophie, conduisant à assécher chacune des deux disciplines de ses contenus ; la spécialité HLP se déploie à sa manière – sensible, en situation, avec sa force vive – et elle n’est point, malgré les apparences et les statistiques de la DEPP11 la fidèle héritière de la filière L.  

 

Il reste d’ailleurs, pour corroborer cette thèse, à penser cette spécialité au-delà de sa seule portée littéraire, avec la part d’humanités scientifiques voire technologiques qui la caractérise. 

 

 

Le sens de l’idéal et les grandes questions contemporaines  

 

La question qui ouvre ce troisième axe d’analyse est la suivante : dans son contenu autant que dans sa démarche historique et critique, la spécialité HLP reprend-elle « la marche du génie humain », pour reprendre l’expression de Condorcet dans le troisième des Cinq mémoires sur l’Instruction publique, ou bien suit-elle plus précisément le progrès de l’esprit humain ? Si la dynamique de la marche renvoie à l’idée de mouvement, la notion de progrès indique plus précisément une direction à prendre, qui s’achemine quelque part. Commentant le Dictionnaire de pédagogie de Ferdinand Buisson, Pierre Kahn (2003) parle de la formation du « sens de l’idéal »12 , en vue de laquelle « les humanités doivent in fine conserver leur prééminence ». Pierre Kahn insiste non pas sur l’unité abstraite, ni même situationnelle de l’humanité, mais sur l’unité d’un processus à l’œuvre. C’est le modèle de ce dont la connaissance humaine est capable. L’enseignement de HLP, qui se déploie dans une perspective notamment temporelle, entreprend d’étudier l’homme non pas sub specie aeternitatis, mais in fieri, en devenir. L’on trouve cette dimension, électivement, dans la dernière séquence de l’année de terminale, l’humanité en question : « Jusqu’où peut-on aller ? ». Penser les limites de l’humain, voire son propre dépassement, c’est concevoir cet enseignement torrentiel comme une confrontation des mondes possibles, utopies et dystopies, en traçant notre itinéraire sur les sentiers sinueux de l’humanité – ou bien sur ce qui viendra la remplacer.  

 

Victor Duruy, en 1863, avait rendu son nom à la classe de philosophie en faisant de l’histoire contemporaine l’aboutissement de l’enseignement de cette discipline, dans les dernières années d’études, afin que les élèves soient « mis en état de comprendre les événements au milieu desquels la vie vient les surprendre ». Il apparaît que la spécialité HLP, plus spécifiquement en classe terminale, répond à cette exigence, celle d’emporter les nouveaux venus dans le grand tremblement des problèmes d’aujourd’hui. D’où l’intitulé des différents chapitres du programme, comme « Ruptures et continuités », « violence et histoire », « l’humain et ses limites » qui suscitent autant de réflexions critiques non pas sur un état définitif des choses, mais bien sur des mondes processuels. Plus spécifiquement, les lettres se trouvent liées à l’art et à l’histoire, comme chez Louis-Ferdinand Céline, dans le Voyage au bout de la nuit, alors que la philosophie a trait, en HLP, plus volontiers aux sciences et à la politique : l’on réfléchit aux transformations silencieuses, aux transitions subtiles entre « les représentations du monde », pour reprendre les termes du programme de première, en particulier au passage du monde clos à l’univers infini13 .  

 

Pour l’humain et ses limites, la dimension littéraire de l’enseignement repose essentiellement sur la science-fiction, en référence à René Barjavel, La nuit des temps mais aussi à Yves Bonnefoy, Les planches courbes. En philosophie, c’est la question de la technique, par Simondon et Jonas particulièrement, qui est traitée. Sans réduire la littérature à un rôle illustratif ou à l’évasion imaginaire, la dimension philosophique de la HLP propose davantage de théories générales qui viennent rendre compte d’une évolution, penser le pourquoi de cette évolution, s’interroger sur les limites de l’humain pour questionner la fin du monde autant que la finitude humaine, tandis que la littérature présente, dans une certaine mesure, une instanciation du problème philosophique. Néanmoins, les deux approches mettent l’imagination au pouvoir d’un monde qui n’est pas le nôtre mais qui pourrait être, à plus ou moins long terme, le futur qui vient. En conséquence, la spécialité HLP tient son originalité de sa possibilité d’associer l’universel en situation, porté surtout mais non exclusivement par la philosophie, et le singulier en littérature qui a parfois une portée tout aussi universelle, comme dans Émile, ou de l’éducation de Rousseau, lequel incarne sa philosophie radicale de l’éducation dans le personnage d’Émile, qui grandit au gré des cinq livres qui rythment ses aventures. Par sa puissance philosophique autant que littéraire, Émile est fragment d’éternité, où se dessine le visage à la fois sensible et spéculatif d’un personnage conceptuel. Insistons sur ce point : la finalité de la spécialité HLP consiste non à « fusionner des disciplines » (Franck, 2019) mais à interroger le sens – en tant que signification, mais aussi dans son aspect sensible, sensuel – des mondes passés, présents et possibles, pour ainsi « agir en homme de pensée et penser en homme d’action », selon les mots de Bergson. 

 

 

Conclusion 

 

Critique dans sa méthode, inspiratrice par ses contenus, la spécialité HLP éclaire et interroge le rapport des autres spécialités aux grandes questions d’aujourd’hui. En se situant au-delà du simple approfondissement des lettres et de la philosophie, son enseignement consiste en une prise de distance vis-à-vis de l’art de la parole, celui notamment des avocats et des politiques ; sur les limites de l’humain et de la technique, pour se débarrasser des terreurs superstitieuses de notre temps ; sur les rapports dialectiques entre histoire et violence. Par-là, cette discipline originale met en branle, sinon déstabilise les différentes spécialités en tant que savoirs constitués, y compris les spécialités scientifiques et technologiques, pour les relier à de grandes problématiques qui prennent racine dans l’histoire. C’est pourquoi elle vise, selon le mot de Paul Bert, à « enseigner la non-crédulité sans enseigner le scepticisme, ce suicide de la raison ». Mais la transition entre la classe de première et celle de terminale pose problème : parce que dans la mesure où le nombre de spécialités à choisir passe de trois, avec quatre heures de cours chacune, à deux, avec six heures de cours chacune, dans environ la moitié des cas14 , c’est la spécialité HLP qui est abandonnée en terminale, où les deux spécialités doivent plus directement être en phase avec l’orientation souhaitée des élèves, lesquels postulent sur la plateforme Parcoursup aux classes préparatoires aux grandes écoles et aux universités qu’ils désirent (et peuvent) intégrer. Autant le rapport aux spécialités, en classe de première, peut encore apparaître comme quelque peu désintéressé, autant l’année de terminale constitue plus largement une transition, voire un rite de passage entre le secondaire et le supérieur, c’est-à-dire entre l’adolescence et l’âge adulte.  

 

L’on pourrait penser qu’à la suite de la filière littéraire de l’ancien baccalauréat – avant 2019 – la discipline optionnelle proprement littéraire du nouveau baccalauréat, à savoir la spécialité HLP, s’adresse ou à des élèves qui sont là par défaut, ou à des adolescents rêveurs et critiques, plus qu’à des adultes prêts à s’intégrer, ce qu’ils ne sont d’ailleurs pas tenus de faire, dans le monde tel qu’il est. Aussi la spécialité HLP aspirerait-elle à incarner, par son rapport gratuit, désintéressé au savoir considéré dans toute son amplitude, le supplément d’âme de l’année de première. La difficulté tient dans son décalage avec le sérieux de l’année de terminale, qui au-delà même des épreuves du baccalauréat, est devenue sélective, parce que l’accès à presque toutes les filières de l’enseignement supérieur est conditionné au choix des spécialités de la classe terminale. Or l’enseignement de HLP a cette spécificité de n’être pas tout-à-fait une spécialité, au sens où elle ne spécialise nullement les élèves, à moins de former, selon le mot d’Auguste Comte, des « spécialistes des généralités ». Car cet enseignement possède, indubitablement, une portée générale, jusqu’à interroger, comme dans notre deuxième axe d’analyse, sa dimension universelle.  

 

Ainsi, choisir cette spécialité peut relever, soit d’un choix par défaut, soit d’une forme de luxe, soit d’une posture dilettante, soit d’une passion exacerbée pour les lettres et la philosophie, mais ce choix n’ouvre professionnellement aucune porte précise. Or la relative rareté des élèves (environ 20% en classe de première et 10% en terminale) qui choisissent cette discipline peut aboutir, selon la logique comptable des gestionnaires, à supprimer le choix de cette spécialité dans tel ou tel établissement, notamment de petite taille, pour restreindre le budget et le nombre de spécialités proposées. Sans parler du fait que restreindre ce nombre en se concentrant sur les plus immédiatement utiles rend en même temps plus facile l’élaboration et l’articulation des emplois du temps des élèves et des professeurs. Dès lors, il est important de penser l’objet même de l’enseignement HLP en lui conférant non seulement une signification humaine, par sa dimension critique, anthropologique, mais aussi un sens éminemment social. Ou bien, selon les établissements (car les élèves de cette spécialité sont parfois nombreux, surtout en classe de première) l’on peut aussi s’en tenir, et même désirer la rareté des élèves inscrits en HLP, en défendant jusqu’au bout son originalité et sa portée humaniste, d’autant que l’enseignement à de petits groupes d’élèves présente d’incommensurables avantages pédagogiques. C’est le cas surtout dans des contextes où les élèves choisissent leurs spécialités par passion et non par défaut. Les ateliers d’écriture, les simulations orales, les riches interprétations de textes et autres essais prennent une forme particulière lorsqu’il y a peu d’élèves15 . C’est l’enseignement lui-même qui se veut, finalement, plus humain, parce qu’il ne s’adresse point à des classes surchargées et hétérogènes mais à une communauté à taille humaine, où l’attention donnée à chacun est possible, avec la qualité du temps que l’on accorde aux notions étudiées, aux questionnements et aux créations des élèves, à leurs doutes autant qu’à leurs écueils. Comme si par son statut ambigu de spécialité qui n’en est pas véritablement une, la discipline HLP visait à restituer, dans sa passion autant que dans ses exigences, la teneur qualitative d’un enseignement digne de ce nom.  

 

 

Bibliographie 

 

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—. (1901). Le Gai Savoir, Société du Mercure de France. 

 

Programme de l’enseignement de la spécialité HLP, Bulletin officiel spécial n°8 du 25 juillet 2019. https://www.education.gouv.fr/bo/19/Special8/MENE1921255A.htm 

Notes
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 Il s’agit des chiffres des « Repères et références statistiques 2020 » du ministère de l’Éducation nationale, chapitre 4.09. 

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 « En France, l’enseignement de la philosophie s’incarne dans une institution bien définie depuis l’organisation de l’Université napoléonienne à partir de 1808 : la « classe de philosophie » à destination des jeunes adolescents lors de la dernière année du cycle des études secondaires. Depuis lors, les prescriptions officielles font de la philosophie une discipline-reine destinée à        « couronner » l’enseignement secondaire. Ce statut d’exceptionnalité n’a que peu été remis en cause et perdure au gré des nombreuses réformes du baccalauréat. D’après ces mêmes prescriptions, l’enseignement philosophique vise à permettre une                  « synthèse » de l’ensemble des savoirs acquis dans ce cycle d’études. C’est pourquoi une année entière lui est consacrée avec l’attribution d’un volume horaire conséquent (8 heures hebdomadaires de 1830 à 1960). » 

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 « Une expression forte des limites de la prospective transhumaniste est l’idée “posthumaniste”: celle d’une transformation soudaine (cfr la notion de “Singularité”) ou progressive telle que les produits de l’enhancement seraient à ce point éloignés de notre condition humaine, que nous n’aurions plus guère avec eux de parenté. Du transhumain – que l’on peut voir comme un être intermédiaire, transitoire – au posthumain, la frontière est floue et imprévisible. » 

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 Ce point, concernant le caractère professionnalisant de la spécialité, est remis en question à la fin de l’article. 

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 « La réforme de 1902 unifie l’enseignement secondaire et augmente les horaires de sciences. Une commission dominée par des universitaires révise les programmes de mathématiques et de physique. Il s'agit de fonder un nouvel « humanisme scientifique » d’inspiration positiviste. Les nouveaux programmes introduisent la méthode expérimentale en physique et des éléments d'analyse en mathématiques. » 

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 Le recours au livre reste toutefois une question contestée pour l’éducation humaniste, notamment chez Montaigne. Le livre peut aussi faire écran à l’éclosion d’une expérience au contact du monde ou d’une réflexion personnelle. L’on peut en effet questionner le rapport même des auteurs aux livres : comment comprendre la défiance de Rousseau, ou encore celle de Montaigne, face au contenu livresque ? Cette question est abordée plus loin dans l’article. 

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 La dimension monumentale renvoie à celle de grandeur : la grandeur d’un classique que l’on ne cesse d’explorer, d’admirer, d’interpréter, pour dégager de l’inconnu – de l’implicite – au cœur même des œuvres qui nous sont les plus connues. 

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 Le préambule du programme de la spécialité HLP du Bulletin officiel spécial n°8 du 25 juillet 2019 montre l’articulation entre les quatre grands objets d’étude et les quatre périodes de référence de l’histoire de la culture : « Les contenus d’enseignement se répartissent en quatre semestres, chacun centré sur une grande dimension de la culture humaniste, donc sur l’un des objets des études rassemblées sous le nom d’humanités. Ce sont : 1) la parole, ses pouvoirs, ses fonctions et ses usages ; 2) les diverses manières de se représenter le monde et de comprendre les sociétés humaines ; 3) la relation des êtres humains à eux-mêmes et la question du moi ; 4) l’interrogation de l’Humanité sur son histoire, sur ses expériences caractéristiques et sur son devenir. L’approche de ces questions s’effectue, pour chaque semestre, en relation privilégiée avec une période distincte dans l’histoire de la culture : 1) de l’Antiquité à l’Âge classique ; 2) Renaissance, Âge classique, Lumières ; 3) du romantisme au XXe siècle ; 4) époque contemporaine (XXe – XXIe siècles). » 

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 Cette importance s’avère contestable. La formule du livre III d’Émile, ou de l’éducation est sur ce point manifeste : « Je hais les livres ; ils n’apprennent qu’à parler de ce qu’on ne sait pas ». Elle rappelle que l’éducation livresque forme, selon Rousseau, principalement des pédants, par des « leçons éparses dans tant de livres », au lieu d’apprendre, à l’école du risque, par différents degrés d’expérimentation. 

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 L’on pense notamment, dans le programme de terminale HLP, à la place des sensibilités amoureuses, voire romantiques, et des métamorphoses kafkaïennes du moi. 

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 Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance, Ministère de l’Éducation nationale et de la jeunesse. 

[←12

 L’expression « sens de l’idéal » est empruntée à l’article « Paul Bert » paru dans le Dictionnaire de pédagogie de Ferdinand Buisson. 

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 Les « ruptures et continuités » en terminale sont autant artistiques que politiques et scientifiques, d’où la référence, notamment, dans la liste des œuvres proposées, à Thomas Kuhn, La structure des révolutions scientifiques. 

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 Selon les chiffres communiqués par la DEPP, le service statistique du ministère de l’Education nationale, pour l’année scolaire 2021-2022  : 77705 élèves de la classe de première (20% de la promotion) étaient inscrits en spécialité HLP ; 39153 élèves de la classe terminale (10% de la promotion) y étaient inscrits. Les filles représentent près de 80% des élèves de cette spécialité, 79,7% en classe de première et 80,6% en terminale. 

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 C’est d’autant plus vrai si les élèves viennent en cours parce qu’ils le désirent, ce qui n’est guère le cas partout. De même que les petits effectifs d’élèves dépendent du type d’établissement et de la politique budgétaire. 

Annuel de la recherche en philosophie de l’éducation ISSN 2779-5292