Accueil > Annuel de la recherche en philosophie de l’éducation > ARPHÉ Hors Série n°1 Jeunes chercheur.e.s > Recensions > Prot, F-M. (dir.). (2025). Psychanalyse et éducation. Questions à Mireille (…)
jeudi 30 octobre 2025
Pour citer ce texte : PÉRÈS, V. (2025). Prot, F-M. (dir.). (2025). Psychanalyse et éducation. Questions à Mireille Cifali. Rouen : Presses universitaires de Rouen et du Havre, 347 pages, 18 euros. Annuel de la Recherche en Philosophie de l’Education , hors série n°1
[https://www.sofphied.org/annuel-de-la-recherche-en-philosophie-de-l-education/arphe-hors-serie-no1-jeunes-chercheur-e-s/recensions/article/prot-f-m-dir-2025-psychanalyse-et-education-questions-a-mireille-cifali-rouen]
Prot, F-M. (dir.). (2025). Psychanalyse et éducation. Questions à Mireille Cifali. Rouen : Presses universitaires de Rouen et du Havre, 347 pages, 18 euros.
Valérie Pérès
Université Paris Nanterre, Centre de Recherche Éducation et Formation (CREF)
Depuis plusieurs années, l’équipe de recherche Normes et valeurs (LISEC, Université de Lorraine) s’attache à développer la dimension pluridisciplinaire propre aux sciences de l’éducation en faisant dialoguer philosophie, clinique, didactique, histoire des idées et sociologie, ce qui a déjà donné lieu à plusieurs productions collectives fort instructives, consacrés aux questions d’éthique (Prairat, 2024), de l’hospitalité (Prairat, 2018, Go & Riondet, 2021), des valeurs (Prairat, 2019), des normes (Go, 2012) des pédagogies alternatives (Kolly & Go, 2020) ou encore de la notion de crise (Prot, 2017). Dans cette veine parait un nouvel ouvrage intitulé Psychanalyse et éducation. Questions à Mireille Cifali coordonné par Frédérique-Marie Prot. Ce dernier explore la trajectoire intellectuelle et universitaire de Mireille Cifali professeure à l’Université de Genève et figure marquante des sciences de l’éducation. Cet opus souligne particulièrement l’originalité de sa pensée et son rapport fécond à la psychanalyse, qu’elle définit comme un « compagnonnage » théorique et méthodologique. Le titre de ce livre est ainsi un clin d’œil au titre de l’ouvrage issu de sa thèse : Freud pédagogue ? Psychanalyse et éducation (Cifali, 1982). Deux concepts traversent l’ensemble du livre : celui de lien, central dans l’œuvre de Cifali, et celui d’hospitalité, déjà exploré dans un ouvrage précédent par l’équipe Normes & Valeurs. Ces notions irriguent les réflexions sur la formation des enseignants, les rapports entre savoirs et subjectivité, et la fonction contenante que peut jouer l’institution éducative.
Ce manuscrit rassemble les travaux issus du séminaire que l’équipe organisa en novembre 2018 à l’INSPE de Maxéville, en présence de celle-ci. Bien qu’étant un hommage ce livre marie finement et trouve un équilibre ajusté entre hommage, critique et praxis en évitant ainsi l’écueil de l’hagiographie. Au total, dix-huit contributeurs de profils variés participent à l’ouvrage : chercheurs confirmés, praticiens de terrain, cliniciens, enseignants. Parmi eux, des noms bien connus de l’équipe Normes et Valeurs (Nev) comme Henri-Louis Go, Eirick Prairat, Xavier Riondet, Bérengère Kolly, contributeurs réguliers des travaux de l’équipe. Ce manuscrit est complété par des contributions extérieures venant enrichir le propos et étoffer les points de vue et les angles d’analyse. On lit ainsi des textes de Bruno Robbes sur la pédagogie institutionnelle mais aussi de Philippe Meirieu convoquant le principe sine qua non de la psychanalyse, l’incertitude, pour l’élever au rang de vertu dans le cadre de l’éducation ou encore de Daniel Hameline ce dernier signant la postface dans un savoureux mélange de langage musical et de textes. L’apport de Jacques Pain, qui livre ici un de ses derniers textes, constitue aussi un moment fort. Enfin, Mireille Cifali elle-même est très présente dans l’ouvrage, par le biais d’articles dont elle est l’autrice, par des échanges suivis ou par des réponses qu’elle a pu faire durant le séminaire. Tout cela constitue une très belle distribution qui, à elle seule, donne déjà des garanties sur la qualité du texte. D’ailleurs l’une des grandes forces de ce livre réside dans sa forme dialogique. On découvre avec plaisir que les contributeurs répondent souvent à des textes de Mireille Cifali. En effet, plusieurs auteurs s’adressent directement à Mireille Cifali, parfois à partir de textes qu’elle leur a envoyés, parfois à travers des échanges survenus durant le séminaire. L’ouvrage devient alors un espace d’interpellation intersubjective, plus qu’un simple recueil d’hommages. Cifali y répond, commente, complète, une manière de faire entendre une pensée vivante, loin d’une construction figée. Cette approche donne lieu à des dialogues riches sur L’éthique psychanalytique en éducation, La pédagogie institutionnelle, La place du sujet dans la formation, L’articulation entre psychanalyse et philosophie de l’éducation, La clinique de l’accompagnement, les métiers du lien, et la place de l’écriture dans la formation influencée notamment par Michel de Certeau. Il faut noter cette volonté, tout à fait remarquable, de convoquer la praxis en mettant en valeur les usages concrets que la psychanalyse peut offrir aux professionnels de l’éducation. Le travail de Bérengère Kolly sur la subjectivité en formation ou l’expérience relatée par Bessa Myftiu dans la formation d’enseignants du secondaire illustrent cette perspective engagée
L’ouvrage offre une organisation solide que Frédérique-Marie Prot présente dans l’introduction. Celle-ci est enrichie de deux textes : tout d’abord un article d’Étiennette Vellas sur Mireille Cifali-professeure et un texte d’Henri-Louis Go revenant sur l’œuvre de Mireille Cifali en tant qu’universitaire et en tant que personne. S’ensuivent 7 parties, une conclusion, une postface et un recensement exhaustif des productions écrites de cette dernière. Cette construction forme un ensemble solide, riche et pluriel. Dans la première partie intitulée “Histoire, psychanalyse et éducation” (p.33-65) nous permet de (re)découvrir des éléments aussi intéressants que le travail de Charles Baudouin sur « l’âme enfantine ». La seconde partie intitulée “Éthique, psychanalyse, éducation” (p. 67-111) revient sur l’éthique psychanalytique en éducation, la rencontre entre psychanalyse et philosophie de l’éducation et l’accompagnement du sujet. La troisième partie, “Clinique, psychanalyse, éducation” (p. 113-149) revient sur l’épineuse question des démarches cliniques en pédagogie, l’éducation comme humanisme et comme lien. La quatrième partie, Pédagogie institutionnelle et psychanalyse” (p. 151-180) revient sur la particularité de la pédagogie institutionnelle, pont entre l’éducation et la psychanalyse et aborde la clinique lacanienne de l’éducation. C’est aussi au cœur de cette partie que vient se loger le très bel article de Jacques Pain. La cinquième partie titrée “Psychanalyse et formation” (p. 181-229) étudie l’éthique clinique en formation, avec un très beau texte de Bérengère Kolly jouant des mots pour penser le mouvement en “je” dans le cadre de la formation initiale des enseignants en INSPE. Enfin la sixième partie intitulée « Écriture clinique et formation » revient sur l’écriture freudienne (vue par Michel de Certeau, qui dirigea la thèse de Mireille Cifali). La septième partie, « Questions à Mireille Cifali et réponses » (p. 277-312) revient sur l’originalité de cet ouvrage, la relation intersubjective et sa forme dialogique reprenant de cette manière tant sur le fond que dans sa forme le thème central de la recherche de Mireille Cifali : le lien et les métiers du lien. Enfin, le texte de Philippe Meirieu sur l’incertitude comme vertu (p. 313-315) vient conclure et non pas « enclore » (p. 313) la pensée de Mireille Cifali. Il revient finalement à Daniel Hameline de clore cet hommage en faisant usage d’un dialogue peu conventionnel dans le domaine de la recherche entre musique et texte, une façon facétieuse, subtile mais surtout métaphorique, rappelant par là un axe majeur des recherches de Mireille Cifali sur la métaphore en éducation, de rappeler leur subjectivité et leur altérité propres.
Ce livre constitue une contribution précieuse aux sciences de l’éducation, notamment dans un contexte où les références psychanalytiques tendent à s’effacer au profit de discours technicistes ou comportementalistes. Il remet en lumière une pensée humaniste et engagée, respectueuse de la complexité du sujet en formation. L’ouvrage s’adresse autant aux chercheurs qu’aux praticiens, et s’impose comme un outil de réflexion autant qu’un témoignage intellectuel. Un ouvrage dense, vivant, qui échappe à l’hagiographie pour faire émerger une intelligence collective, à travers une mise en dialogue respectueuse mais exigeante. Il contribue à réhabiliter la psychanalyse comme outil réflexif pour les métiers du lien.
Références
Cifali, M. (1982). Freud pédagogue ? Psychanalyse et éducation, Interéditions.
Go, H-L et Riondet, X. (dir.).(2021). Hospitalité en éducation, Presses universitaires de Nancy.
Kolly, B et Go, H-L. (2020). Maria Montessori et Celestin Freinet, Voix et voies pour notre école. ESF Sciences humaines
Prairat, E. Considération sur l’l’idée d’hospitalité scolaire, Éthique en éducation et en formation, 2018, 5 (91-107)
Prairat, E. Les valeurs : une question philosophique, un défi pédagogique, Recherches & Travaux, 2019, 94. https://doi.org/10.4000/recherchestravaux.1563
Prairat, E. (2019). Chapitre 15. Considérations sur l’éthique enseignante. Propos sur l'enseignement : Notions, auteurs, études (p. 347-368). Presses Universitaires de France. https://doi.org/10.3917/puf.prair.2019.01.0347.
Prot, F. (2017). Crise dans l’espace scolaire Les incertitudes d’une communauté de pratiques. Spirale - Revue de recherches en éducation, 60(2), 161-171. https://doi.org/10.3917/spir.060.0161.
Annuel de la recherche en philosophie de l’éducation ISSN 2779-5292
Sofphied